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Exclusif : David Scott raconte les événements entourant l’accident mortel du Québécois Bertrand Fabi en F3, en 1986

Exclusif : David Scott raconte les événements entourant l’accident mortel du Québécois Bertrand Fabi en F3, en 1986

Mardi 22 février 2022 par René Fagnan
Crédit photo: Archives Antoine Fabi

Crédit photo: Archives Antoine Fabi

Fort de ses trois titres acquis en Formule 2000 en Europe, le pilote québécois Bertrand Fabi effectuait des essais à bord d’une monoplace de Formule 3 en préparation à la saison 1986 quand il fut victime d’un terrible accident.

Fabi, natif de Sherbrooke, venait d’être couronné champion des séries britannique, européenne et du Bénélux de Formule 2000 avec l’écurie Penistone Racing. Grâce aux contacts de son mentor, Raymond David, Fabi passait à l’échelon supérieur, la F3, avec une réelle possibilité de courir un jour en Formule 1.

Raymond David place Fabi au sein de la puissante écurie West Surrey Racing de Dick Bennetts pour disputer le championnat britannique de Formule 3 de 1986. En plein hiver, il commence les essais de sa nouvelle monture : une Ralt RT-30 à moteur Volkswagen.

Vendredi le 21 février, deux écuries effectuent des essais sur le circuit de Goodwood au Royaume-Uni. West Surrey Racing fait rouler Fabi tandis que David Price Racing teste sa Reynard 863-Volkswagen avec un jeune pilote britannique expérimenté, David Scott.

En fin d’avant-midi, la Ralt de Fabi sort de piste dans le rapide virage à droite de Madgwick et se fracasse de face contre une butte de terre complètement gelée et se retourne. Fabi souffre de graves blessures auxquelles il ne survivra pas. Il décède le lendemain à l’hôpital, le 22 février 1986 (il y a donc 36 ans jour pour jour).

Il est important de noter que le circuit de Goodwood, situé à Chichester dans le West Sussex, n’organisait alors plus de courses depuis juillet 1966. Laissé dans l’état, il était parfois utilisé pour des essais privés. C’est sur ce tracé que Bruce McLaren a perdu la vie lors d’essais le 2 juin 1970 quand sa voiture Can-Am a perdu sa carrosserie arrière à haute vitesse et a percuté un talus de terre.

Ce qui suit est ce que m’a décrit David Scott lors d’une récente entrevue exclusive accordée au magazine Pole-Position. Né en 1962, Scott avait bien réussi en Formule Ford à ses débuts avant de remporter des victoires en F3 britannique et de signer un contrat de pilote d’essais avec le Team Lotus de F1. Il a ensuite couru en F2 européenne et japonaise avant de revenir courir en F3 britannique en 1986.

« Mon contrat de pilote d’essais avec le Team Lotus s’était achevé et j’étais de retour du Japon. Pour être parfaitement honnête, je n’étais pas super séduit à l’idée de revenir courir en Formule 3. Je connaissais Bert [Bertrand], car j’avais discuté avec lui lors d’un gala de fin de saison à Londres quelques semaines auparavant. Nous avions eu une agréable discussion. Il était très sympathique; un bon gars, extrêmement déterminé.

Adrian Reynard venait de produire la 863 de F3 et il avait toujours voulu voir ses voitures gagner dès leurs débuts, peu importe la catégorie. Pour la saison 1986, j’étais dans une très bonne équipe, celle de David Price.

C’était une très belle journée de février pour la Grande-Bretagne, mais très, très froide et la piste était parfaitement sèche. Il faisait suffisamment froid pour que la piste soit gelée, mais elle ne l’était pas. Par contre, les buttes de terre qui l’entouraient étaient dures comme du roc. La piste était néanmoins en bon état. Les conditions étaient parfaites pour qu’une voiture de F3, munie de sa bride d’admission, réalise des chronos extrêmement rapides.

Je dois préciser que j’avais déjà beaucoup roulé en essais sur le circuit de Goodwood durant ma carrière, au volant de toutes sortes de voitures, dont des Formule Ford et F3. Les voitures de F3 de cette époque n’étaient pas très puissantes et possédaient beaucoup d’adhérence.

Ma voiture était excellente et j’ai réalisé un temps très rapide tôt en matinée. J’ai lu sur le web que pour faire un temps canon, mon équipe aurait déconnecté la boîte à air de mon moteur afin de lui donner un peu plus de puissance. Je ne peux le certifier, mais j’en doute vraiment. Je suis convaincu qu’une équipe de renom comme celle de David Price n’aurait jamais fait quelque chose comme ça. Nos essais se sont toutefois terminés plus tôt que prévu, car je crois que l’équipe avait détecté une fêlure au support de l’aileron arrière. 

En fin d’avant-midi, Bert a marché dans la ligne des puits et est venu me voir. Nous avons eu une courte, mais très agréable conversation et je me souviens très clairement qu’il m’a demandé s’il était possible de négocier le premier virage, Madgwick, à fond.

En effet, il était possible de le passer à fond. J’avais cette habitude d’être parfaitement honnête avec les gens et je lui ai répondu : "Oui, Bert, il est possible de le négocier à fond (tout en discutant du régime moteur qu’on pouvait atteindre), mais tu dois être prudent, car il y a deux points de corde et il y a une bosse, pas très grosse, mais il y en a une entre les apex. Tu dois donc faire attention, surtout si ta voiture a tendance à survirer ou si la piste est glissante (ce qu’elle n’était pas, même si elle était froide)". J’ai été parfaitement honnête avec lui.

Nous finissions de remballer notre matériel quand 20 minutes plus tard, Bert est entré en piste avec sa voiture chaussée d’un train de pneus neufs. Deux ou trois tours plus tard, il est sorti de piste dans le virage Madgwick. Si cela était survenu un autre jour, ou sur un autre circuit, Bert s’en serait sorti avec quelques ecchymoses et un bon mal de tête. À cette époque, il n’y avait pas de glissières de sécurité ou de rangées de pneus autour du circuit. Les buttes de terre étaient dures comme du béton. Nous, les pilotes, acceptions cette situation, car il ne s’agissait que d’essais.

J’ai vite quitté le circuit et suis retourné chez moi en état de choc, sans savoir dans quel état se trouvait Bert. Je conduisais ma voiture quand j’ai entendu à la radio que Bert était dans un état critique. Sa mort m’a beaucoup perturbé et je me suis mis à me poser beaucoup de questions. J’avais déjà piloté des monoplaces de F2 et de F1, et il me semblait qu’il était impossible de se faire mal dans une voiture de F3. C’est vraiment triste à dire, mais le cas de Bert est fort simple : il était au mauvais endroit au mauvais moment.  

Il y a eu une enquête par après. J’ai été questionné par des policiers et je les ai emmenés faire un tour du circuit en voiture pour que je commente chaque virage. Ils étaient agréables, mais ne semblaient pas comprendre pourquoi un jeune homme avait envie de risquer sa vie en pratiquant un tel sport. Cela s’est poursuivi en cour lors d’une comparution à laquelle assistait Raymond David [le gérant de Bertrand Fabi]. Je m’attendais à ce qu’on me poste la question "Le circuit était-il sécuritaire ?", mais elle ne fut jamais posée.

Vous savez, quand vous êtes un jeune pilote, vous vous croyez invincible. L’accident de Bert m’a vraiment secoué. La date de la première course de la saison approchait et j’étais toujours remué. Adrian Reynard m’a dit que je devais mettre cet événement derrière moi et ne penser qu’à être compétitif en piste. Pas facile… Cet accident fut un moment très difficile à vivre et impossible à oublier. Le sport automobile a toujours été dangereux, mais c’est une accumulation de mauvaises circonstances qui tourne parfois à la tragédie. Ce jour-là, ce fut une journée terrible et le Canada a perdu un pilote très talentueux.»