Site officiel de Pole-Position Magazine - Le seul magazine québécois de sport automobile

www.Poleposition.ca

Site officiel de Pole-Position Magazine

Rétro 1991: Le retour raté de Porsche en F1 avec l’écurie Footwork

Rétro 1991: Le retour raté de Porsche en F1 avec l’écurie Footwork

Lundi 22 août 2022 par René Fagnan
Crédit photo: Twitter

Crédit photo: Twitter

Alors qu’on tarde à confirmer l’accord technique et financier qui devrait lier Porsche et Red Bull Racing pour apparaître ensemble en F1 à compter de la saison 2026, on doit se souvenir que le constructeur automobile allemand a tenté d’effectuer un retour en Formule 1 en 1991 en fournissant, à juste prix, des moteurs V12 à la petite écurie Footwork dirigée alors par Jackie Oliver.

L’histoire de Porsche en F1 est un peu compliquée. La firme allemande a débuté en F1 en 1958 avec la RSK, avant de faire courir les 718 et 787. Entre 1962 et 1964, Porsche a poursuivi son effort avec la 718 et la 804 qui a remporté une victoire en France en 1962 grâce à Dan Gurney. Après une longue absence, la marque est revenue en F1 avec son extraordinaire moteur V6 turbo rebaptisé TAG et confié à McLaren durant les années 1980. Après une autre absence, son retour en Grand Prix, effectué en 1991, n’a pas du tout été à la hauteur des espérances.

C’était à une époque où les entreprises japonaises désiraient ardemment être vues en F1. On peut noter, entre autres, les compagnies Epson, PIAA, Canon, Footwork, Leyton House, Autopolis, Showa, ESPO, GEO, Toshiba et Unisys.

Courant 1990, l’écurie Arrows de Jackie Oliver est au bord du gouffre financier. L’écurie britannique est commanditée par Footwork, une chaîne japonaise de magasins et de logistique. Son grand patron, Wataru Ohashi, accepte de hausser le budget, mais à condition qu’Arrows signe avec un motoriste de renom.

On sait alors que Porsche est intéressé à revenir en F1. Le constructeur allemand a pris contact avec des écuries, notamment McLaren et Onyx, afin de lui proposer son nouveau moteur, le Porsche 3512, un V12 atmosphérique de 3,5 litres ouvert à 80 degrés. McLaren n’a pas été convaincu.

Porsche a alors négocié avec Jackie Oliver d’Arrows, qui est en passe de devenir Footwork grâce au rachat de l’équipe par Ohashi. Oliver, un ancien coureur automobile, avait piloté des Porsche 917 en Endurance au début des années 1970.

Oliver, qui n’a vu que des plans du V12, est intéressé, mais il doit convaincre Ohashi de sortir plus de dollars de son portefeuille. Obtenir le moteur Porsche coûte 20$ millions pour la saison 1991, et un peu plus pour les deux années suivantes. Mais le milliardaire japonais est séduit par le nom Porsche et donne son accord.

Une annexe fort utile

Suivant son instinct, Oliver fait ajouter, en urgence et juste avant la signature du contrat le 4 février 1990, une annexe qui comporte cinq clauses de performance qui concernent la puissance minimale du moteur, un poids maximum à ne pas dépasser, une courbe de puissance linéaire et une limite de consommation d’essence.

Quand les ingénieurs d’Arrows reçoivent le premier exemplaire du moteur Porsche, ils n’en croient pas leurs yeux. Le V12 semble avoir été créé en greffant deux anciens V6 turbo ensemble. Il est haut, long, large, possède des engrenages de distribution logés à l’intérieur du bloc et un arbre primaire situé au centre du V, donc très haut.

Pire encore, il est très lourd. Terriblement lourd. Il pèse 190 kilos alors que le Cosworth HB n’en pèse que 135, le Ilmor V10 et le Ferrari V12 140 kilos et le V12 Honda est à 160 kilos. C’est 40 à 60 kilos de trop !

L’équipe technique parvient à boulonner cet encombrant V12 au châssis Arrows A11C existant. Dès les premiers essais, tout va mal. Puisqu’il y a trop de poids à l’arrière, la monoplace possède une tenue de route épouvantablement imprévisible. Pire que cela, les moteurs manquent nettement de puissance et souffrent d’un énorme problème de circulation et de pression d’huile, et ils explosent à un rythme infernal.

La saison 1991 commence avec une paire d’A11C-Porsche confiées à Michele Alboreto et Alex Caffi. À Phoenix, seul Alboreto se qualifie, mais sa boîte de vitesses casse au 41ème tour. Au Brésil et à Imola, les deux voitures ne parviennent pas à se qualifier. Arrive la nouvelle voiture, l’A12-Porsche. À Monaco, Caffi détruit sa A12 dans un spectaculaire accident survenu à la chicane durant les essais. Quant à Alboreto, il lui préfère l’A11C et casse son moteur au 39ème tour. Très sonné par la force de l’impact, Caffi est alors remplacé par Stefan Johansson.

À Montréal, les deux A12 se qualifient ! L’Italien abandonne au deuxième passage tandis que Johansson quitte la scène après 48 tours, moteur cassé. En altitude au Mexique, Porsche a emporté sept moteurs, mais en casse quatre dès la première journée d'essais. La course d’Alboreto prend fin au 24ème tour par suite d’une perte de pression huile. Au Grand Prix de France, les deux FA12C débarquent du camion-transporter munies de moteurs… Ford Cosworth DFR. C’est la fin du moteur V12 Porsche.

Pourtant, Hans Mezger, le directeur technique de Porsche, n’était pas un incapable. Il avait travaillé sur le premier moteur six cylindres à plat de la 911 de route, sur le moteur de la 917 d’Endurance, celui de la 917/30 turbo de la série Can-Am et aussi sur le V6 turbo TAG F1 de McLaren. Alors comment se fait-il que ce gros V12 ait été une telle catastrophe ? Difficile à expliquer.

Dans une récente interview, Ulrich Bez, qui était alors le vice-président de la recherche et du développement chez Porsche, explique avoir pris le blâme pour cet échec. Il affirme « Si dès le départ j'avais remis en question le concept de Hans Mezger et que j'avais dit "ça n'ira nulle part", qui m'aurait cru ? Mezger était un héros, donc nous l'avons protégé, nous ne l'avons pas accusé.»

Quand l’écurie Footwork s’est présentée au Grand Prix de France, Alan Jenkins, alors directeur technique chez Footwork, a emprunté un Cosworth DFR d’une autre écurie et l’a pesé dans le paddock devant les ingénieurs de Porsche pour leur démontrer le surpoids de leur V12. Disons que cette mise en scène n’a pas vraiment plu aux gens de Porsche…

Après la France, Oliver s’est rendu en Allemagne pour discuter de la situation tendue. Il a montré le contrat et surtout l’annexe qu’il a fait ajouter, prétextant que Porsche n’avait pas respecté les clauses de performances. Les dirigeants de Porsche, inquiétés aussi par la piètre santé financière de leur propre entreprise, décidèrent de mettre fin immédiatement au contrat de fourniture de moteurs avec Footwork.

La photo ci-haut montre les pilotes Michele Alboreto (gauche) et Alex Caffi entourant Jackie Oliver.