Site officiel de Pole-Position Magazine - Le seul magazine québécois de sport automobile

www.Poleposition.ca

Site officiel de Pole-Position Magazine

Les dos d’âne : Le danger trop longtemps ignoré sur les circuits légendaires

Les dos d’âne : Le danger trop longtemps ignoré sur les circuits légendaires

Mardi 30 septembre 2025 par Marc Cantin
Crédit photo: Wikipédia / Photographe inconnu

Crédit photo: Wikipédia / Photographe inconnu

Plusieurs circuits dits historiques, encore utilisés aujourd’hui mais parfois modifiés, comportent un "dos d’âne" : une montée suivie d’une descente abrupte qui laisse entrer l’air sous l’avant d’une voiture, réduisant l’appui et causant un changement de direction ou même, ce qui n’est jamais souhaité, un envol.

Au dernier Grand Prix de Belgique de F1, on pouvait noter que des voitures avec leurs suspensions étirées au maximum en sortie du Raidillon, subissaient légèrement ce phénomène de perte d’appui. La descente de La Source mène à l’Eau Rouge, une cuvette gauche-droite avalée à fond à près de 270 km/h et plus de 7G cumulés, qui projette ensuite les voitures dans la montée vers le Raidillon gauche et le long droit du Kemmel. Là, le passage brutal de la pente de 17% au plat agit comme un dos d’âne : l’air comprimé se glisse sous la voiture et réduit momentanément l’appui, laissant l’avant léger "comme un chat sur le bout des pattes". La moindre erreur peut causer un gros accident.

D’autres circuits et époques ont connu des incidents célèbres. Aux 24 Heures du Mans 1999, deux Mercedes CLR GT officielles ont décollé en bout de ligne droite : deux fois la même voiture avec Mark Webber au volant, aux essais (photo ci-dessus) et au warm-up, puis avec Peter Dumbreck en course. Norbert Haug, patron de Mercedes, avait d’abord accusé Webber, jugeant la CLR "sans vice". Mais deux envols supplémentaires forcèrent Mercedes à retirer la dernière voiture encore en course. L’humiliation mondiale fut immense, même si les pilotes en sortirent indemnes.

Au Québec, le Circuit Mont-Tremblant comporte aussi un dos d’âne. Il ne présente aujourd’hui plus de danger après avoir été considérablement adouci. Mais lorsque le circuit fut créé, un dos d’âne en montée vers le virage 9 était bien en place. Mauvaise idée : trois voitures de Groupe 7 (Can Am) y ont décollé en 1966 : Hugh Dibley s’envole en essais et détruit sa Lola T70 dans la zone des spectateurs; heureusement sans heurter personne. Le lendemain, Paul Hawkins décolle à son tour, fait un 180 degrés en l’air, atterrit sur le dos et glisse jusqu’au virage 10. Indemne, il préfère ne pas courir. Les ingénieurs Lola constatent alors que le nez arrondi de la T70 accumule l’air sous la voiture. En course, toutes les Lola arborent de petites moustaches verticales, premier bricolage aérodynamique de l’époque.

Le même week-end, le Montréalais Peter Lerch détruit sa McLaren Mk1a-Chevrolet au même endroit, sans blessures graves. Plus tard, en 1977, Brian Redman décolle aussi avec une Lola T332 officielle. Retrouvé en train d’étouffer, son casque rempli de terre, il doit la vie à l’intervention rapide du commissaire Frank Rodriguez. Redman est encore en vie aujourd’hui, à 88 ans.

Aux États-Unis, Road Atlanta avait lui aussi son dos d’âne à la sortie d’un virage. Il provoqua en 1972 le cabrage de motos Superbike et deux envols spectaculaires : Denny Hulme sur une McLaren M8D et Mark Donohue sur une Porsche 917/10 de 1000 ch. Les organisateurs ont ensuite aplani la bosse pour réduire le risque mais cela n’empêcha pas Yannick Dalmas d’y décoller en 1998 avec une Porsche 911 GT1.

En Europe, Zandvoort possédait un virage singulier, le "double bol". La transition entre le bol droit et le bol gauche, séparée par une bosse, faisait perdre tout appui aux voitures. Beaucoup arrivaient trop vite et allaient heurter le muret extérieur.

Quant au Nürburgring, ouvert en 1927, son immense Nordschleife de 22,8 km abrite la fameuse section du "Flugplatz" (qui signifie aérodrome en Allemand) : un dos d’âne combiné à un virage où les voitures rapides décollent nettement. Le spectacle y est garanti, mais aussi le risque. La zone de spectateurs a d’ailleurs été considérablement réduite et sécurisée après l’accident (deux spectateurs tués) de Jann Mardenborough en GT3, en 2015.

Ces exemples montrent combien les bosses mal placées ont provoqué des drames, heureusement très souvent évités de peu. La configuration des circuits ne permet pas toujours d’éliminer complètement les dos d’âne mais ils ont eu fil du temps été considérablement adoucis, pour une meilleure sécurité. En 1979, lors de l’inspection du circuit Gilles-Villeneuve, Roland Bruynseraede, alors responsable sécurité F1 à la FIA et directeur de course réputé, rappelait : « N’ajoutez jamais de danger à la piste. Il y en a déjà assez ».