Site officiel de Pole-Position Magazine - Le seul magazine québécois de sport automobile

www.Poleposition.ca

Site officiel de Pole-Position Magazine

Historique : La dernière interview de Gaston Parent, l’agent de Gilles Villeneuve

Historique : La dernière interview de Gaston Parent, l’agent de Gilles Villeneuve

Mercredi 23 avril 2025 par René Fagnan
Crédit photo: YouTube

Crédit photo: YouTube

Gaston Parent, homme d’affaires qui dirigeait une entreprise de marketing et de publicité à Montréal, est devenu en 1976 un peu par la force des choses l’agent d’affaires du coureur automobile Gilles Villeneuve, alors en voie de devenir champion de la série de Formule Atlantique.

Sans pouvoir le certifier, je crois avoir réalisé la dernière interview qu’a accordée Gaston Parent. C’était en 2001, alors que j’étais recherchiste/scénariste pour une émission de télévision spéciale d’une heure sur Ferrari. Un des segments portait sur l’importance qu’a eu Gilles Villeneuve sur la Scuderia Ferrari et nous avions planifié cette rencontre avec Parent. Le tournage a eu lieu dans son chalet situé à Ripon. Deux ans plus tard, en 2003, Parent décédait d’une crise cardiaque à l’âge de 76 ans.

Les plus grands fans de Gilles Villeneuve apprendront certainement peu de nouvelles choses dans cette interview, mais Parent avait été extrêmement sincère, franc et passionné à cette occasion.

Première rencontre avec Gilles

« Un jour [de 1976] mon adjoint, Robert St-Onge, me dit qu’un jeune coureur automobile veut me rencontrer, car il a besoin d’argent pour continuer sa saison. Je lui dis que je n’ai pas le temps et que ça ne m’intéresse pas. Un lundi matin de juillet 1976, j’arrive à nos bureaux et je vois un jeune homme assis dans le lobby. Il me regarde, c’est tout. Une fois dans mon bureau, St-Onge me dit que le gars à l’entrée est justement le jeune pilote. Je répète que ça ne m’intéresse pas. Villeneuve, obstiné, parvient à entrer et me dit, en toute simplicité, qu’il a besoin de 5000$ pour aller disputer la course à Halifax [Atlantic Motorsport Park] et ainsi décrocher le titre canadien de Formule Atlantique. Gilles a été honnête et direct. J’avais interviewé pas mal de gens durant carrière et je savais que Gilles était sincère. Ça m’a plu. J'ai décidé de l'aider. J'ai appelé l'équipe de course à Toronto [Écurie Canada] et dit que je couvrirais les dépenses. Ils m'ont répondu qu'ils devaient d'abord voir l'argent avant de mettre la voiture de course dans le camion. Cela m'a vraiment agacé - c'était comme s'ils ne me faisaient pas du tout confiance. J’ai voulu leur montrer qui j'étais... J'ai appelé mon service financier et précisé que les 5000$ devaient apparaître sur le compte de l'équipe dans les 30 prochaines minutes. L'équipe m'a rappelé et m'a demandé quels étaient les logos que je souhaitais voir apposés sur la voiture. Gilles a donc couru à Halifax, a remporté la course et le titre. Pour moi, Villeneuve était un homme heureux et l'histoire était terminée ». 

Le duel contre James Hunt

« Je ne connaissais rien à la course automobile. Je n'avais jamais regardé une course automobile auparavant. Gilles et moi nous sommes revus et il m’a invité à assister au Grand Prix de Trois-Rivières [en 1976]. À cette occasion, il a battu James Hunt, le Champion du monde de F1, qui conduisait une voiture identique. Hunt avait été très impressionné par l'étonnante maîtrise qu’avait Villeneuve de sa voiture. À son retour en Angleterre, Hunt a parlé favorablement de ce jeune Villeneuve à Teddy Mayer, le patron de l’écurie de Formule 1 McLaren ».

Un contrat avec McLaren

« Quelques mois plus tard Mayer a proposé à Villeneuve un contrat de quatre courses. J'étais trop occupé pour aller en Angleterre avec Gilles et j’ai envoyé St-Onge à ma place. Gilles a signé un contrat et a disputé le Grand Prix de Grande-Bretagne en 1977. Des négociations ont ensuite commencé entre Mayer et Ferrari. Mayer ne voulait pas que Gilles aille chez Wolf, la nouvelle équipe de F1 canadienne. Il voulait qu'il aille chez Ferrari. Un jour, Gilles m'appelle. Il était très excité. Il m'a dit que Ferrari l'avait contacté pour lui offrir un contrat. Il fallait aller en Italie. En fait, Niki Lauda avait décidé de quitter Ferrari et l'équipe italienne avait besoin d'un pilote de remplacement. Encore une fois, je ne voulais pas aller en Italie. Mais mon ami Walter Wolf m'a convaincu d'y aller ».

Rencontre avec Enzo Ferrari

« Pour Gilles, rencontrer Enzo Ferrari c’était comme rencontrer le Pape. Pour moi, c'était totalement différent. J'étais un homme d'affaires canadien qui se rendait en Italie pour rencontrer un homme d'affaires italien. Un point c'est tout. Un certain [Ennio] Mortara, un proche d'Enzo Ferrari, nous a conduit à Modène. Nous sommes arrivés à la propriété. Un portail s'est ouvert et la voiture est entrée. Nous sommes descendus et sommes entrés dans le bureau. C'est une vaste pièce sombre remplie de compartiments en verre contenant des trophées. Au centre, il y avait une table très simple et cinq chaises. Une ampoule électrique était suspendue au-dessus de la table. On se serait cru dans un vieux film italien... Enzo Ferrari est arrivé avec son traducteur et son comptable. Nous avons commencé à parler. Gilles était tellement obsédé par la possibilité de rouler en F1 pour Ferrari qu'il allait dire oui à tout. J'ai dû le calmer ».

« Gilles m’avait précisé qu’il voulait continuer à faire des activités dangereuses comme le ski ou conduire son 4x4. J'ai dit à Ferrari que Gilles voulait être propriétaire de son corps. Je crois que je n'ai pas utilisé les bons mots ! Enzo Ferrari m'a regardé et m'a demandé si j'étais un avocat. J'ai dit non. Ferrari s’est tourné et a demandé à Gilles s'il était un avocat. Il a répondu non. Ferrari m'a demandé de répéter ma question et j'ai utilisé exactement les mêmes mots. Il a accepté. Enzo Ferrari avait compris par erreur que Gilles voulait être propriétaire de sa combinaison de course ; qu'il voulait avoir le droit de négocier des contrats de commandites personnelles. Ce n'est pas ce que nous avions à l'esprit, mais nous avons gagné ce point par totale ignorance ! Il n’y a jamais eu de contrat. Enzo Ferrari nous a montré une lettre d'intention qui comportait 19 points et qui mentionnait “Selon l’accord verbal”. Ferrari nous a expliqué qu'il n'y avait pas de contrats en Italie parce que le fisc italien exigeait qu'une somme d'argent égale à la valeur du contrat soit placée en garantie. Cela signifiait que si Ferrari devait payer Villeneuve un million de dollars, elle devait aussi verser un autre million de dollars au fisc. Et évidemment, Ferrari ne récupérerait jamais cet argent. Malgré ses explications, je tenais à avoir un contrat. Enzo Ferrari m'a regardé droit dans les yeux et m'a dit : “Quand je donne ma parole, il n'y a pas de problème. Nous n'avons pas besoin de contrat”. Nous avons donc quitté son bureau avec la lettre d'intention ». 

Les avantages d’être un pilote Ferrari

« Gilles a conduit la Ferrari F1 sur la piste de Fiorano le lendemain de la signature de la lettre d’intention. L'ingénieur en chef de l'équipe, Mauro Forghieri, n'avait pas confiance en la capacité de Gilles à régler correctement la voiture. Lors de son troisième tour de piste, Gilles en a perdu le contrôle et la voiture qui a virevolté sur le gazon. Il a repris la piste et continué à rouler. Après une heure d'essais, Gilles a battu le record de la piste. J'ai entendu Enzo Ferrari et ses amis du monde des affaires dire entre eux “Il campion di mondo...”. Le lendemain, Gilles et moi devions revenir à Montréal en avion. Mais Alitalia venait de faire grève les jours précédents et c'était le chaos total à l'aéroport de Milan. Nous nous sommes enregistrés au comptoir, mais on nous a dit qu'il n'y avait plus de places sur ce vol pour Montréal. J'ai appelé le directeur d'Alitalia et nous avons commencé à discuter. Il a soudainement vu Gilles s'accrocher à son nouveau siège de course. Il a crié “Villanova !”. Il n'arrivait pas à croire qu'il avait la nouvelle recrue de Ferrari sous ses yeux. Soudain, tout s'est arrangé et nous avons eu droit à trois sièges en classe affaires : un pour moi, un pour Gilles et un pour son siège de course ! »

Des frictions avec Mauro Forghieri

« Un jour [en 1978], Gilles est venu à mon bureau de Montréal et s'est assis devant la machine à télex. En tapant lentement avec seulement deux doigts, il a envoyé à Enzo Ferrari un rapport complet et précis du fonctionnement de l’équipe [car il jugeait que Mauro Forghieri ne disait pas toute la vérité à Enzo Ferrari]. À la suite de ce télex, Enzo Ferrari a demandé une rencontre en Italie. Nous sommes arrivés à Maranello et nous avons croisé Forghieri qui a demandé à Gilles : “Combien de têtes veux-tu faire tomber pour cela ?” Gilles a simplement répondu : “Je ne veux pas couper de têtes. Je veux juste gagner des courses”. Nous avons eu la réunion et Gilles avait raison sur la plupart des points. Enzo a alors demandé aux ingénieurs de croire en ce que Gilles disait à propos de la voiture ».

Gilles était adulé en Italie

« Lorsque Gilles effectuait des essais à Fiorano, une énorme foule se massait pour le voir rouler. Les gens se rassemblaient derrière les barrières pour voir Gilles faire déraper sa Ferrari dans tous les sens. Au lieu de rentrer chez eux lorsqu’ils quittaient le travail à 17 heures, les gens se rendaient directement au circuit pour voir Gilles en action. Lorsque Jody Scheckter [coéquipier de Gilles en 1979 et 80] testait la voiture, il n'y avait aucun spectateur. Cela le mettait hors de lui ! Gilles était traité comme un roi à Modène et à Maranello. En Italie, les gens adorent la course automobile et surtout la Formule 1. Dans le plus grand secret, Gilles a appris l'italien chez Berlitz. Un jour, il est arrivé à Maranello et a discuté en italien avec les mécaniciens et les ingénieurs. Ils ont été très impressionnés. Lorsqu'il était en Italie, Gilles logeait à l'hôtel Real Fini à Modène. C'était une grande star là-bas. Il pouvait faire des demi-tours dans les rues, rouler dans les sens uniques, sur les trottoirs... c'était fou. Un jour, il a été arrêté pour excès de vitesse sur l'autoroute. Il a sorti six photos de lui de son sac. Il les a autographiées et les a remises au policier. Et il s'en est sorti comme ça ! »