Site officiel de Pole-Position Magazine - Le seul magazine québécois de sport automobile

www.Poleposition.ca

Site officiel de Pole-Position Magazine

Les grands moteurs de course : Renault, pionnier du V6 turbo en F1 dans les années 1970

Les grands moteurs de course : Renault, pionnier du V6 turbo en F1 dans les années 1970

Vendredi 24 février 2023 par Marc Cantin
Crédit photo: Galeron

Crédit photo: Galeron

Le décès le 2 février dernier de Jean-Pierre Jabouille, ingénieur et pilote français chez Renault et Alpine, nous remet en mémoire une belle époque de la F1, de 1966 à 1988 : en premier acte, celle des moteurs atmosphériques (dits atmo) de 3 litres qui ont dominé de 1966 à 1980, et le second acte avec des moteurs de 1,5 litre turbocompressés (dits turbo), dominants de 1981 à 1988.

Avec des pilotes de la trempe des Niki Lauda, Jackie Stewart, Alain Prost, Gilles Villeneuve, Graham Hill, Jack Brabham, John Surtees, Denny Hulme, Jochen Rindt, Dan Gurney, le spectacle était assuré. Durant la phase atmo, les châssis plus ou moins artisanaux pouvaient varier, mais un moteur domina pendant les années 1968 à 1980, le moteur DFV (Doublecams Four Valves). Mon collègue René Fagnan a déjà parlé de ce moteur (voir nouvelle ici), payé par Ford et badgé par la maison américaine en début de vie ou par Cosworth plus tard, le petit motoriste anglais qui a conçu le DFV à l’époque et qui remporta 155 des 230 Grands Prix courus de 1967 à 1982.

Tout le monde savait déjà depuis le début de l’ère atmo qu’un moteur turbo de 1,5 litre serait beaucoup plus puissant et donc plus rapide que les moteurs atmo de l’époque si on arrivait à maîtriser la complexité additionnelle et à financer une telle usine à gaz. Mais quel constructeur allait faire le saut ?

En passant au turbo, la F1 a vécu une transformation fondamentale car la monoplace à moteur atmo typique des années 1970 faisait appel à un menu de pièces commun : un châssis maison auquel on greffe un moteur Cosworth DFV porteur (ou quelques BRM ou Ferrari le cas échéant), une boîte Hewland à crabots, des amortisseurs Koni, des freins Brembo ou similaire, un allumage Lucas (les princes de la noirceur !) et un peu d’apparat aérodynamique encore mal compris par les équipes, tout au moins jusqu’aux première voitures à effet de sol (1978). Ces voitures relativement simples plaisaient aux petites équipes moins riches et dites "garagiste" par Jean-Marie Balestre, le tout puissant président de la FIA et de la Commission sportive internationale de la fin des années 1970 à 1991, et en bataille constante avec Bernie Ecclestone pour le contrôle global de la F1.

Techniquement, greffer sur une F1 de l’époque un moteur turbo semblait d’une grande complexité. Un défi auquel les concepteurs de Renault faisaient face et il faut bien avouer que si le moteur Renault Gordini V6 turbo commençait à donner des résultats prometteurs en Endurance sur les prototypes de la marque (il allait toutefois falloir attendre 1978 pour que Renault gagne les 24 Heures du Mans), en arrivant à Silverstone pour le Grand Prix d’Angleterre 1977 avec un châssis et un moteur flambants neufs, rien n’était gagné d’avance.

Pour battre les Ferrari V12 et Cosworth V8 atmo, il fallait créer un bloc moteur assez solide pour gérer jusqu’à 1000 ch., en plus d’agir comme partie arrière du châssis, fixée au dos du réservoir à essence central. Le moteur devait absorber le couple moteur, les forces aérodynamiques produites par le plancher, les ailerons et l’aile, le poids des radiateurs latéraux, le poids de l’installation du turbo et des échappements, et aider à gérer la chaleur du turbo concentrée autour du moteur et de la boîte.

L'écurie française présente la première Renault RS01 turbo avec le pilote qui a développé la machine, Jean-Pierre Jabouille, au Grand Prix de Grande-Bretagne 1977 (photo ci-dessous), celui-là même qui voit Gilles Villeneuve disputer on premier Grand Prix sur McLaren. Le moteur Renault turbo délivre alors plus de 300 ch mais manque cruellement de fiabilité contre les moteurs atmo presque aussi puissants. Le moteur s’exprime trop souvent par de gros nuages blancs, comme une grosse théière jaune que les Anglais surnomment bien vite le "Yellow Teapot" ! La première Renault turbo n’accumule aucun point en 5 courses pour le reste de la saison 1977, puis 3 points en 14 départs en 1978 et une victoire (Dijon) en dix courses en 1979.

À partir de 1979, René Arnoux rejoint l’équipe, aux côtés de Jabouille. Après une première pole en Afrique du Sud, ce dernier s’impose le circuit de Dijon-Prenois le 1er juillet 1979. Arnoux termine 3ème derrière Gilles Villeneuve, au terme de leur duel épique. Cette victoire de Jabouille est suivie de 17 autres (trois pour le moteur dans un autre châssis jusqu'en 1986, remportées successivement par Alain Prost). Progressivement, toutes les autres écuries du paddock, Ferrari en tête, s'équipent de moteurs turbo. La technologie va régner sur la F1 jusqu’à son interdiction à la fin de la saison 1988.

En 1980, avec la RE20, Arnoux remporta les Grands Prix du Brésil et d'Afrique du Sud tandis que Jabouille connaît des problèmes à répétition. Alain Prost remplace Jabouille en 1981. Le futur quadruple champion du monde enlève trois Grands Prix lors de sa première saison chez Renault qui se classe troisième du championnat des constructeurs. Cette année-là, outre Renault et Ferrari, un 3ème moteur turbo fait son apparition en F1, celui du motoriste privé Brian Hart qui équipe la petite équipe Toleman.

Renault continue son ascension au début de 1982, mais l’écurie ne progresse pas au championnat, dominée par Ferrari et bientôt par Brabham qui fait débuter un 4ème moteur turbo en F1, le BMW. La saison 1983 semble vouloir être celle de la consécration mais elle marque plutôt la descente de Renault aux enfers alors que les conflits entre dirigeants et pilotes aboutissent au départ de Prost chez McLaren en fin de saison tandis que BMW, avec Brabham et Nelson Piquet, deviennent les tous premiers champions du monde avec un moteur turbo.

Renault décide de fermer son écurie de Formule 1 fin 1985, après que des conflits sociaux aient fait échouer le recrutement de Niki Lauda. Par la suite, préférant se contenter d’un rôle de motoriste pour d'autres écuries (Lotus, Ligier et Tyrrell) la marque française remporta encore quelques victoires mais jamais le titre… avec son moteur turbo tout au moins ! Car Renault allait triompher dans les années 1990 comme motoriste avec son V10 atmo, avant de gagner deux titres mondiaux avec son équipe complète, en 2005 et 2006, avec Fernando Alonso au volant.

Aujourd’hui, et depuis 2014, le moteur turbo est de nouveau admis en F1. Il est même la norme unique, imposée autour de l’architecture de moteurs V6 et leur système d’hybridation.

Crédit photo: Galeron