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Analyse de la situation avec Kuno Wittmer : Doutes, prédictions et… motivation intacte !

Analyse de la situation avec Kuno Wittmer : Doutes, prédictions et… motivation intacte !

Samedi 18 avril 2020 par Philippe Brasseur
Crédit photo: Didier Schraenen

Crédit photo: Didier Schraenen

Pour tout citoyen ou presque, la pause forcée provoquée par le coronavirus et ses conséquences, en plus des diktats gouvernementaux restreignant la liberté de circulation, est difficile à vivre. Imaginez ce qu’il en est pour un pilote professionnel, privé comme d’autres non seulement de son travail mais sans garantie de pouvoir remonter dans une voiture de course à court terme en raison de la crise économique annoncée.

Cela concerne des pilotes de Formule 1, de NASCAR, de rallye, et bien sûr d’Endurance. Pour le Québécois Kuno Wittmer, ancien champion canadien de Voitures de Tourisme et champion GT Le Mans en IMSA (2014), l’objectif est évidemment de revenir en piste cette saison, mais la situation est complexe. Il nous en parle avec beaucoup de lucidité et de passion dans cette entrevue…

Kuno, comment vis-tu l’arrêt des compétitions ce printemps ?

C’est vraiment un gros coup. Du jour au lendemain, on apprend qu’il faut rester à la maison jusqu’à nouvel ordre, qu’il n’y a plus de course, ça met un frein à tout. Au début de l’année, la saison avait bien débuté pour moi, avec la nouvelle équipe en IMSA Michelin Pilot Challenge. J’avais réussi la pole position à Daytona et même si nous avions eu des soucis mécaniques en course, le bilan était quand même assez positif. Ensuite, on a commencé à entendre des choses concernant un virus venu d’Asie. Sa progressait mais on ne se sentait pas encore très concernés nous, en Amérique du Nord. Puis tout à coup, tout s’est arrêté. Je pense quand même que c’est une bonne décision que les frontières soient fermées et on commence à voir une certaine amélioration, mais c’est difficile à vivre.

Pour la série IMSA Michelin Pilot Challenge, il y a eu seulement 2 courses reportées jusqu’à maintenant, soit Sebring et Mid-Ohio. La prochaine épreuve est prévue fin juin à Watkins Glen. Tu t’attends à y être ?

En date d’aujourd’hui, 18 avril, on n’en sait rien. Il faut attendre de voir les décisions du président américain quant à la relance des courses et la réouverture des frontières mais, sincèrement, je crois que ce n’est pas très prometteur pour les évènements aux États-Unis. Je ne crois pas qu’on pourrait avoir un événement avec beaucoup de participants, des camions de pièces, des spectateurs, etc. S’il y a des courses au mois de juin en Amérique du Nord, nous serons peut-être le seul sport professionnel à fonctionner. Je n’y crois pas. Les matches de hockey, de baseball, de football et même le golf n’auront pas encore repris ou ils seront à huis clos, dès lors comment pourrait-on faire des courses de NASCAR, d’IndyCar ou d’IMSA devant des spectateurs ? Et pour moi le plus gros problème, étant Canadien : comment vais-je faire pour traverser la frontière avec les restrictions de quarantaine en vigueur en ce moment pour aller faire une course à Watkins Glen et ensuite espérer être en piste à Mosport la semaine suivante ?

Justement, si ces deux courses ont lieu, il va aussi manquer du monde en raison de la crise économique. De ton côté, où en est la situation à ce niveau ?

Notre équipe n’a pas encore annoncé qu’on ne fera pas de course. Nous attendons des nouvelles de l’IMSA pour l’instant. Nous sommes tous dans le même bateau. Quand nous aurons la position de l’IMSA face à la reprise (combien de courses, à quelles conditions, etc.?), on verra ce que nous déciderons de faire. D’ici là, je me tiens occupé et je me dis parfois qu’il y a des choses qui n’arrivent pas pour rien. Rester à la maison, c’est quelque chose que je n’ai pas fait souvent ces dernières années !  Ça permet de remettre les pendules à l’heure. J’ai 37 ans, j’ai 2 enfants, je suis marié, alors pour moi, faire des courses sur un simulateur à la maison, ça ne marche pas !

Les courses sur simulateurs ne te tentent pas ?

Si, ça m’intéresse mais je ne sais pas où je pourrais trouver le temps d’en faire. Avec 2 enfants à la maison quand il n’y a pas d’école, ils passent avant tout pour moi. Je fais les devoirs avec eux, on s’amuse ensemble, on reste occupés. Si je suis actuellement sans emploi, ma femme Sabrina elle, a encore plus de travail qu’avant. Donc à la maison, il doit y avoir quelqu’un qui s’occupe des enfants, c’est juste normal que ça se passe ainsi. Je me garde aussi en forme en faisant beaucoup d’entraînement à la maison et je garde une très saine alimentation. Sinon, j’ai une autre passion qui est le pilotage d’avion. Je prends des cours de pilotage, ce qui me garde aussi très occupé mentalement, avec de la mécanique et des réglementations à apprendre. Il y a un lien pour moi avec la course automobile et j’ai hâte que l’école puisse rouvrir pour recommencer à voler.

Travailles-tu sur des plans B, C ou D pour la suite des choses ou tu attends ce qui va arriver ?

Je n’ai pas parlé avec d’autres écuries ou de séries à date. Je fais confiance à l’IMSA et à mon équipe, AWA. C’est vraiment une super équipe. Je parle avec eux à tous les 2 jours, ainsi qu’à mon équipier Orey Fidani. C’est lui qui amène la plus grande part du budget de l’équipe. Chez AWA, les choses sont franches entre tout le monde, ça fait longtemps que je n’ai pas eu ce type de rapport avec mon équipe. En fait, depuis mes années avec Viper. C’est beau à voir même si c’est quand même bizarre de voir comment ça allait bien, comment les projets de course se dessinaient… et maintenant tout est arrêté. 

Crois-tu à une stabilisation de la situation du sport automobile rapidement, à l’automne, ou bien plus en 2021 ?

Je pense que nous aurons 5 fins de semaine de course à l’automne avec un calendrier rapproché, avec peut-être des programmes doubles, en compagnie de l’Indycar ou des séries SRO World Challenge. Il va falloir que les promoteurs travaillent de concert : le nombre de fins de semaine est limité dans l’année et certaines dates entreront en conflit avec d’autres gros événements comme les 24 Heures du Mans, du Nürburgring, Suzuka, etc.

En IMSA, la saison débute traditionnellement dès janvier, à Daytona. Si la saison 2020 est prolongée jusqu’en décembre, ne crois-tu pas que ça pourrait hypothéquer les ressources des équipes en vue de leur préparation pour la saison 2021 ?

C’est certain à 100% ! Il va y avoir 2 phases d’après moi. La première, c’est que nous allons voir une grosse baisse de participation dans toutes les catégories. D’environ 30% je pense, lorsque les courses vont recommencer en juin ou en septembre. Ensuite, nous devrions voir aussi une très forte diminution de participation au début de 2021. Je pense qu’au niveau économique, ça ne marchera pas, ça va prendre du temps avant de revoir des grilles de départ aussi conséquentes que les dernières années.

En conclusion, es-tu favorable à l’annulation d’une course si les gouvernements ne permettent pas de la présenter avec la présence du public ou préfères-tu qu’elle ait quand même lieu mais à huis clos, juste avec de la télédiffusion ?

Je préfère qu’on les annule au complet ou qu’on les reporte à une autre fin de semaine où nous pourrons avoir les fans sur le site. Avoir une course uniquement devant des caméras, c’est peut-être bien parce qu’en tant que pilote je suis quand même en piste, mais je ne suis pas seul dans ce sport-là ! Les spectateurs, ce sont eux qui achètent des billets, ils veulent sentir l’odeur d’essence brûlée, entendre le son des moteurs. Ils ont droit à ça et il faut absolument les avoir à la piste de course, c’est dans la nature du sport automobile d'avoir du public !