Sir Jackie Stewart a démontré l’étendue de son talent naturel exceptionnel lorsqu’il a remporté la victoire au Grand Prix de Formule 1 d’Allemagne de 1968 dans des conditions climatiques abominables.
Après avoir couru en Grand Prix pour l’écurie britannique BRM de 1965 à 1967, Stewart a accepté l’offre que lui a faite Ken Tyrrell pour incorporer son équipe qui s’appelait alors Matra International.
En 1968, Stewart pilote une Matra MS10 motorisée par un moteur V8 Ford Cosworth DFV et chaussée de pneus Dunlop. D’une finition impeccable et d’une grande efficacité, cette MS10 est le chef d’œuvre de Bernard Boyer et de Gérard Ducarouge, deux ingénieurs de chez Matra.
Le Grand Prix d’Allemagne, sixième épreuve de la saison, est présenté le 4 août sur l’intimidant long circuit du Nürburgring, long de 22,8 km et parsemé de 176 virages. En arrivant au circuit, Stewart porte une attelle en plastique à son poignet droit, destinée à protéger sa paume, car s’est cassé le scaphoïde lors d’un accident survenu en Formule 2 à Jarama en Espagne.
Sa main droite est celle des changements de vitesses, et chaque manipulation du levier le fait souffrir Stewart. Les mécanos modifient la crémaillère de la Matra afin de rendre la direction aussi légère que possible.
Le jour de la course disputée sur 14 tours, la région de l’Eifel est noyée sous la pluie, perdue dans un brouillard épais et il fait un froid glacial. Le Belge Jacky Ickx, le maître du pilotage sous la pluie, établit le meilleur chrono en 9'04"0 au volant de sa Ferrari 312. Son coéquipier, Chris Amon, réalise le deuxième meilleur temps, mais plus lent de 10”9 que celui d’Ickx ! Jochen Rindt, sur une Brabham BT26-Repco, est troisième avec un retard de 27”9 sur le Belge. Jackie Stewart est sixième devant John Surtees sur la Honda RA301.
L’Écossais sait que la pluie est son alliée : la direction de sa Matra sera moins lourde qu'habituellement et ainsi il souffrira moins de la paume de sa main droite. Le départ est donné devant les 200 000 spectateurs qui ont bravé les conditions météorologiques exécrables.
Graham Hill, sur une Lotus 49B-Ford, mène la meute devant Amon et les autres concurrents. Hill est le seul à jouir d’une visibilité parfaite, car tous les autres pilotes sont noyés dans le nuage d’eau soulevé par les larges pneus des monoplaces et dans l’épais brouillard. C’est du pilotage à l’aveugle, sans visibilité, les pilotes se fiant uniquement au son des autres moteurs et aux lignes blanches tracées au bord de la piste pour naviguer.
Stewart tout simplement imbattable
C’est alors que commence un spectacle grandiose. Ressentant bien les réactions de sa monoplace malgré la pluie, Stewart hausse le rythme. Il rattrape rapidement la Ferrari d’Amon et la double juste avant le pont d’Adenau. Puis, Stewart refait son retard sur la Lotus de Hill et la double à la sortie du petit Karussel. Ça y est : il est en tête, et le premier tour n’est même pas encore complété.
Quand les bolides passent devant la tribune principale, Stewart possède une dizaine de secondes d’avance sur Hill. Puis viennent Amon, Rindt, Dan Gurney sur sa Eagle T1G-Weslake et Jacky Ickx, mystérieusement en retrait.
Stewart pilote à son aise, sans trop pousser, magnifiquement bien aidé par ses pneus pluie Dunlop qui font des merveilles dans ces conditions ardues. À la fin du deuxième tour, Stewart possède une avance monumentale de 34 secondes sur son plus proche rival.
Hill, en seconde position, part en tête-à-queue. Il s’extrait du cockpit de sa Lotus, la pousse dans la bonne direction, grimpe à bord, et repart avant que Rindt le rejoigne. Chris Amon va lui aussi effectuer une pirouette, sans trop de conséquences toutefois.
Après avoir passé deux heures et 19 minutes dans l’enfer vert du Nürburgring, Stewart voit enfin le drapeau à damier être agité pour lui signifier sa victoire. La Matra franchit l’arrivée avec une avance ahurissante de quatre minutes et trois secondes, soit presque la moitié d'un tour, sur la Lotus de Graham Hill. Rindt arrive en troisième position devant Ickx, Jack Brabham (Brabham-Repco) et Pedro Rodriguez (BRM).
Jackie Stewart vient de donner toute une leçon de pilotage à ses pairs.
Rétro 1968: Victoire prodigieuse de Jackie Stewart dans le brouillard sur le Nürburgring
Jeudi 26 juin 2025 par René Fagnan
Crédit photo: Galeron