On a récemment appris la décision brutale et imprévue du Groupe Renault de stopper la conception et la production d'unités de puissance de Formule 1 à la fin de la présente saison, plaçant ainsi son partenaire, Alpine, dans l'obligation de se trouver un autre motoriste. Cette situation est sarcastique. Pourquoi ? Simplement parce que Renault a commencé à préparer son arrivée en F1 en 1975 avec... Alpine.
À cette époque, la société Alpine, située à Dieppe dans le nord de la France, était, si on peut dire, le bras sportif de Renault tout en conservant une certaine indépendance. Au début des années '70, Alpine désire monter en F1 et propose un projet commun à Renault ; projet qui est finalement refusé.
C’est Elf, la pétrolière française dont le département de compétition est dirigé avec énergie par François Guiter, et Michelin, un autre fleuron de l’industrie française, intéressés à courir en F1 pour démontrer la qualité de leurs produits, qui font pression sur Renault pour monter une projet F1 100% français.
Nous sommes juste après la crise mondiale du pétrole et Elf désire prouver la qualité de ses nouveaux carburants. Michelin désire courir en F1 afin d’imposer le pneu radial face au géant Goodyear et son pneu traditionnel à carcasse diagonale (cross-ply).
Renault et surtout Elf désirent monter en F1 pour innover, et c’est pour cette raison qu’ils choisissent de faire courir un moteur turbo. Le règlement d’alors autorise les moteurs atmosphériques de trois litres et les moteurs turbo de 1500 cc, mais personne ne croit qu’un si petit moteur pourra un jour gagner un Grand Prix. Mais chez Renault, on y croit.
Les premiers moteurs turbo, conçus par Gordini et d’une cylindrée de deux litres, sont testés dans des barquettes d’endurance A441T qui roulent en Endurance en 1975. Simultanément, Alpine fabrique un châssis expérimental de F1 conçu par André de Cortanze auquel est greffé le moteur V6 turbo réduit à 1,5 litre et ainsi commencent les premiers essais.
L’Alpine A500 n’est pas très belle, il faut l’avouer. Son châssis est soigné, mais sa carrosserie, peinte en noir, n’est pas vraiment aérodynamique. On y a greffé un aileron avant monoplan et un aileron arrière très creusé, style pelle à neige. Mais l’idée n’est pas de faire une belle voiture, mais de tester le moteur V6 turbo dans des conditions réelles, avec des vibrations destructrices, et de constater ses besoins en refroidissement. Car si le V6 donne des résultats satisfaisants sur le banc d’essais, ça sera sûrement une autre chose sur la piste.
C’est le Français Jean-Pierre Jabouille, qui dispute alors le championnat d’Europe de Formule 2 aux commandes d’une Elf 2J, qui est chargé des essais de l’Alpine en 1976. Cette Elf 2J de F2 avait été conçue avec l’assistance de Jabouille et était propulsée par un moteur V6 deux litres atmosphérique Renault-Gordini.
Des débuts extrêmement compliqués
Les essais commencent sur le circuit de Jarama en Espagne au printemps 1976. Le gros turbo Garrett - strictement de série et normalement destiné au camionnage - souffle à 1,4 bar et Jabouille avoue que l’Alpine est très difficile à conduire. Quelques semaines plus tard, l’A500 noire, munie de prises d’air de chaque côté du casque de Jabouille et aussi à l’arrière pour alimenter le turbo, est acheminée sur le circuit Paul-Ricard du Castellet en France.
Après quelques séries de tours sur le petit circuit de 3,3 km, le pilote affirme que l’A500 est diabolique à piloter. Le V6 turbo ne possède aucune progressivité. C’est tout ou rien. Jabouille appuie sur l’accélérateur et il ne se produit… rien. Une seconde passe. Deux secondes. Trois secondes… Et puis brusquement, il a près de 500 chevaux qui lui poussent dans le dos ! Après avoir passé la première journée à rouler en pneus Goodyear, l’A500 est ensuite chaussée de pneus Michelin.
Une fois les essais terminés, la voiture retourne chez Alpine à Dieppe où une seconde carrosserie, encore peinte en noir, est produite. Le moteur n’est toujours pas caréné, car il chauffe facilement et les techniciens désirent avoir un accès facile au bloc moteur, au turbo et à l’énorme échangeur de température. Les ingénieurs font face à des ennuis complexes : autoallumage, pistons percés, remontées d’huile dans les cylindres, surchauffe, etc.
Le 11 mai, l’Alpine et Jabouille vont effectuer des essais sur le circuit privé de Michelin avec, au programme, des changements de pompes à injection comprenant des cames différentes. Entre-temps, Renault fusionne Alpine et Gordini et crée Renault Sport, un département dirigé par Gérard Larrousse, et tout le projet est rapatrié à Viry-Châtillon en banlieue parisienne.
Les essais se poursuivent au Castellet le 16 juin. Elf produit un carburant plus performant que l’essence commerciale utilisée précédemment et le moteur devient un peu plus fiable et le temps de réponse diminue progressivement.
C’est désormais officiel : ce n’est pas Alpine qui va monter en F1, mais Renault. La carrosserie est repeinte en jaune et des autocollants Renault et Elf s’affichent en grand sur le bolide. La voiture est rebaptisée Alpine Renault A500 et est testée en novembre sur le circuit sinueux de Nogaro avec des pneus Michelin. Les ingénieurs commencent désormais à travailler sur la RS01, la première Renault de F1 à moteur turbo.
À la fin de la saison 2024, cette association entre Alpine et Renault va se conclure et une page du sport automobile français sera tournée.
L'arrêt inattendu de l'association Renault-Alpine F1 : Une aventure débutée en 1975
Jeudi 10 octobre 2024 par René Fagnan
Crédit photo: Renault communication – Droits réservés