Site officiel de Pole-Position Magazine - Le seul magazine québécois de sport automobile

www.Poleposition.ca

Site officiel de Pole-Position Magazine

Colin Chapman, le concepteur génial obsédé par la légèreté, aurait-il eu sa place dans la F1 moderne ?

Colin Chapman, le concepteur génial obsédé par la légèreté, aurait-il eu sa place dans la F1 moderne ?

Mercredi 24 janvier 2024 par Marc Cantin
Crédit photo: Galeron

Crédit photo: Galeron

Comme le rappelait notre collègue René Fagnan dans un article paru sur poleposition.ca un 16 décembre, l’ingénieur-concepteur britannique Colin Chapman est décédé il y a un peu plus de 42 ans, en 1982. Le génie de celui qui créa Lotus Engineering en 1949 n’a jamais été oublié, mais ses méthodes de conception des voitures ont aussi souvent été décriées. Chapman était obsédé par un adage : « Light is right », ou si vous préférez, une voiture doit toujours être la plus légère possible.

Bien avant l’ère courante des ordinateurs, de la simulation et des équipes de concepteurs, Colin Chapman imagina des choses exceptionnelles. Originaire de Londres et né en 1928, il étudia la conception des structures avant d’aller dans l’armée puis entreprendre une carrière en conception de maison.

Sa passion pour les voitures et la compétition le poussent en 1948 et 49 à modifier deux Austin 7 et ainsi créer les Lotus Mark I et Mark II pour la Trial, puis les revendre fin 1949 pour se préparer pour la saison 1950 et la suite. Vint ensuite une série de voitures simples (Mark III à Mark 7) vendues en kit ou complètes par Lotus Engineering.

Le fabricant est ainsi officiellement formé et Chapman continue à innover. Les voitures sont légères et fragiles… mais aussi toujours rapides et souvent gagnantes ! De la Lotus 10 à la Lotus 88 au début des années 1980, l’équipe a grossi, mais sans vraiment approcher le potentiel et les budgets des McLaren, Williams et autres fabricants mieux nantis et formels de cette époque.

Aucune surprise à voir la réputation grandissante de Chapman au cours de cette période, assez pour que Tony Vandervell, le propriétaire de l’équipe de F1 Vanwall en 1952, décide de faire appel à Colin Chapman pour créer une nouvelle voiture pour la saison 1955 après une saison après de piètres résultats en 1954 face surtout à Juan Manuel Fangio et les Mercedes W196.

Chapman et son acolyte, Mike Costin, inspectent la Vanwall de 1954, une copie périmée de la Ferrari Tipo 375 F1 (lancée en 1952 et achetée par Vandervell en fin 1953 et rebaptisée Thinwall Special chez Vanwall). Chapman et l’aérodynamicien Mike Costin (le frère de Frank Costin et co-propriétaire de Cosworth, les concepteurs du moteur DFV), décident de refaire la machine en y ajoutant, entre autres, des freins à disque. Il remplacèrent le pont arrière De Dion, un concept datant de 1894 et dépassé depuis 50 ans, par une suspension indépendante, et remplacèrent aussi le V12 d’origine par le moteur maison de Vanwall, un 4 cylindres en ligne basé sur quatre monocylindres de la Norton Manx de 500cc lancé en 1947, et montés sur un bloc moteur commun.

Chapman pilota la nouvelle voiture en début de saison 1955 pour une course afin de la finaliser et en démontrer le progrès sans pour autant rejoindre la Mercedes W196 avec Fangio et maintenant Stirling Moss comme principaux pilotes.

La fixation dominante de Chapman sur la légèreté lui coûta beaucoup lors du passage de la F1 au moteur arrière, présagée par l’arrivée en 1962 de la Lotus 25 avec son monocoque trois fois plus rigide que la Lotus 24 qu’elle remplaçait, ainsi que le moteur porteur sans éléments de châssis à l’arrière.  

L’arrivée en 1967 de la Lotus 49 et son moteur Cosworth Ford DFV eut l’effet d’un Tsunami sur la F1, avec le doublé de Jim Clark et Graham Hill lors de sa première sortie à Zandvoort (Pays-Bas) et le titre mondial de Graham Hill en 1968. La voiture n’était pas parfaite, car le DFV vibrait au point de briser des éléments fragiles typiques de Chapman et dévisser graduellement les quatre boulons majeurs qui fixaient l’arrière de la voiture (moteur porteur, suspension arrière et aileron) au châssis monocoque.

Jim Clark, Graham Hill, Jochen Rindt (à titre posthume), Emerson Fittipaldi (ici en photo avec Chapman) et Mario Andretti furent champions du monde avec Lotus entre 1965 et 1978. Mais les terribles liens contradictoires entre légèreté et performance ont cependant coûté cher à la réputation de Lotus et de son patron, en termes de bris mécaniques et, hélas surtout, d’accidents mortels qui en ont trop souvent découlé. Pensons ici à Jim Clark ou encore à Jochen Rindt...

Les causes allaient d’un bris de châssis ou de suspension, à la destruction de la voiture après un choc qui laissait le pilote sans protection. Le problème des fissures dans les tubes de suspension était répandu. Chez Porsche, ces tubes formant le châssis (pensons notamment aux prototypes 906, 907, 909, 910, 917, 962, etc.) étaient scellés hermétiquement et montés en pression d'air avant d’aller en piste. On mesurait la pression au retour de la voiture et agissait en conséquence. Chapman n’avait pas cette technologie, ou du moins elle n’avait pas grâce à ses yeux.

Avouons que de façon plus positive, les versions des Lotus 79 et 88 assuraient une sécurité accrue aux pilotes, aidés en bonne partie par les règlements de la FIA à cet effet, autant au niveau de la voiture que du pilotage, de la piste et des installations de pistes sécuritaires.

Alors, faut-il garder de Colin Chapman la seule image du concepteur exceptionnel qu’il fut réellement ou un propriétaire d’équipe qui préférait voir ses voitures gagner à tout prix, quitte à utiliser des techniques qu’il savait sans pitié pour ses pilotes ? Le monde de la F1 a changé et les grands concepteurs d’aujourd’hui ne sont plus aussi seuls dans les bureaux de recherches et développement. Ils produisent aussi des machines qui contribuent à l’avancement technologique en compagnie de l’électronique, de matériaux et carburants innovants, de la propulsion électrique et bien d’autres choses.

Les méthodes de Colin Chapman ne passeraient plus de nos jours. Ses voitures seraient bannies. Certains y verront de la déception, que des personnages aussi imaginatifs que lui ne peuvent plus briller en sport automobile. D’autres soulignerons que les règles actuelles ont fait du sport automobile l’un des domaines les plus sécuritaires au monde. Chapman aurait-il pu s'adapter aux règles actuelles ? Aurait-il été une sorte d'Adrian Newey ? Vaste débat...