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Les grands moteurs de course : Le PU106A hybride de Mercedes apparu en 2014 en F1

Les grands moteurs de course : Le PU106A hybride de Mercedes apparu en 2014 en F1

Lundi 20 mars 2023 par Marc Cantin
Crédit photo: Daimler A.G.

Crédit photo: Daimler A.G.

Depuis plus d’une décennie, la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA) lutte pour essayer de réduire les coûts en Formule 1, où l’imagination des équipes et les budgets des manufacturiers ont réussi à compliquer l’exercice. Assez pour tenir des centaines de spécialistes occupés chez les grandes équipes en plus des projets passés à des sous-traitants (souffleries et aérodynamiciens, motoristes, développeurs de logiciel, chimistes, mathématiciens, spécialistes en conception assistée par ordinateur et en simulation, inventeurs et chercheurs techniques, etc.).

Les nouvelles règles instaurées en 2022 et qui visent à limiter les budgets ne semblent pas réussir à changer la loi fondamentale des gros budgets : les riches gagnent, les autres suivent ! Cela dit, la F1 n’est pas à l’abri des génies techniques qui trouvent moyen de temps à autre de dominer la discipline. Parmi de tels phénomènes, on retrouve Ross Brawn, le concepteur et directeur technique qui a notamment transformé l’équipe Honda en une victorieuse écurie Brawn GP en 2009 avant de la revendre à Mercedes !

Il y a eu aussi Mauro Forghieri, le concepteur des Ferrari des années 1960 et 70, ou encore Adrian Newey, le génial aérodynamicien aujourd’hui chez Red Bull, ou encore les motoristes de Ilmor et de Mercedes qui ont aidé à créer ou corriger divers moteurs en F1 comme dans d’autres grandes séries, et pour des véhicules routiers. Parmi leurs plus fantastiques réussites, il convient de parler du moteur utilisé par l’équipe allemande en F1, le PU106A turbo utilisé dans sa première forme, en 2014, puis avec la technologie hybride complète de 2015 à 2021. Un moteur qui a grandement aidé Mercedes à accumuler titres et victoires.

Pour revenir aux origines de ce moteur, il convient de rappeler que la FIA annonça au début des années 2010 un nouveau règlement pour la période de 2014 à 2020. Avec la période Covid, ce règlement fut ensuite prolongé pour la saison 2021. Côté motorisation, ce nouveau règlement est venu remplacer les V8 atmosphérique de 2,4 litres, relativement simples, efficaces, puissants et assez bruyants pour plaire aux amateurs.

Fixé sur les priorités imposées par les gouvernements, les verts influents, les fabricants et les équipes, le nouveau moteur maintenant hybride s’avéra d’une complexité jamais vue en course, mais aussi d’une efficacité thermique et de performances inégalées. On peut encore s’en rendre compte aujourd’hui, alors que la saison 2023 a démarré récemment.

Le moteur PU106A utilise deux systèmes de recouvrement d’énergie, d’abord un turbocompresseur classique qui utilise l’énergie calorique issue directement de l’échappement de la combustion interne (CI) du petit V6 de 1,6 litre. Un second système transforme l’énergie cinétique de la voiture au freinage en énergie électrique utilisée en supplément d’accélération au moment choisi par le pilote.

Le saut en efficacité fut remarquable. Voyons un peu, selon des chiffres glanés chez Mercedes et/ou extrapolés par divers spécialistes au fil des saisons.

La partie du moteur à combustion interne avec son turbo et limitée à 15 000 tr/min. Elle délivre à sa sortie en 2014 entre 650 et 700 chevaux. Ce chiffre passe ensuite à 800 chevaux en version hybride utilisée de 2015 à 2021. La contribution momentanée de l’énergie cinétique récoltée au freinage où lorsque le pilote décide de le faire permet de rejoindre les quelque 1000 chevaux avec les nouvelles monoplaces arrivées en 2022. La version 2022 passe de 0 à 100 kilomètres/heure en 2,6 secondes et peut monter jusqu’à 380 km/h en configuration à bas appui.

En course, la contribution de l’énergie cinétique est limitée à une poussée de six secondes par tour de piste. La consommation totale de carburant est limitée à 110 kilos sur 305 km de course, contre 156 kilos selon l’ancienne formule. De plus, le flux instantané de carburant pompé vers le moteur est limité à 100 kilos par heure.

Dès sa mise sur piste, le moteur Mercedes a joui d’un avantage unique qui lui a permis de dominer la F1 durant sa vie utile, la configuration du turbo en deux pièces, la partie froide à l’avant et la partie chaude à l’arrière du moteur CI. Chez Mercedes, l’analyse du flux d’air sur le capot arrière avait démontré au moment de la conception du moteur (2010 à 2013) qu’un capot plat, plus bas et plus étroit donnait un avantage énorme à la gestion de l’air sur tout l’arrière et les flancs de la carrosserie.

Les concepteurs de Mercedes ont donc séparé le turbo en deux parties, se basant dès 2011 sur le travail à cet effet de l’équipe de développement des moteurs… diesel pour camions de la marque !

Techniquement, la turbine chaude placée le plus bas possible directement derrière les culasses est nourrie par un échappement court placé contre les culasses. Les gaz d’échappement passent par une seule tubulure centrale derrière la turbine chaude. La partie froide envoie l’air sous pression vers les échangeurs de chaleur afin de baisser sa température (pour améliorer la combustion) avant d’être envoyée dans les chambres à combustion.

Dans ce moteur, l’arbre de transmission, qui envoie l’énergie produite par la partie chaude vers la partie froide à l’avant du moteur, tourne à 100 000 (oui, cent mille !) tours/minute et pose des problèmes de poids, d’intégrité devant la charge imposée par l’inertie en rotation (aussi appelée par vulgarisation la force centrifuge), de transmission de chaleur et de lubrification des roulements.

En piste, le pilote doit décider quand et comment utiliser le système cinétique et comment refaire le plein de cette énergie qui réduit la puissance disponible aux roues motrices.

Le supplément de puissance peut servir à se battre contre une voiture qui utilise la réduction de trainée aéro (le Drag Reduction System ou DRS), pour doubler une voiture sur ligne droite ou juste avant de traverser la ligne de qualification du DRS pour le tour en cours, tel que le veut la réglementation actuelle de la F1.

L’utilisation du turbo est quant à elle gérée par l’électronique du moteur alors que la seconde source d’énergie est gérée par le pilote et ajoute aux variables sous sa tutelle. Elle nécessite de prendre des centaines de décisions en course : accélération, freinage et sa répartition avant-arrière, réglage allumage/mélange selon le poids du reste du carburant encore à bord, gestion des pneus, etc. Attention aussi aux freins et à la surface de la piste, le blocage du différentiel, la trajectoire et les rétroviseurs. Enfin, on ajoute l’anti-calage pour les départs et sorties de piste, la gestion autour du système de réduction de la traînée aéro et les trajectoires normales ou encore celles prises pour bloquer ou doubler, et l’utilisation et récolte de l’énergie cinétique.

De 2014 à 2021, les avantages du moteur Mercedes sur la concurrence ont sauté aux yeux, alors que le règlement limitait les changements majeurs pour les fabricants et laissait ainsi Mercedes profiter de cet avantage durant de nombreuses saisons. Cet avantage était mesurable durant ces saison 2014 à 2021 : six titres pilotes pour Hamilton, un titre pilote pour Nico Rosberg, et huit titres manufacturiers en huit ans. Les victoires pleuvaient : 81 pour Hamilton, 20 pour Rosberg et 10 pour Valtteri Bottas. Une domination étouffante avant que Red Bull et son partenaire Honda ne parviennent à rejoindre et même dépasser en performances Mercedes.

Le patron de l'écurie Red Bull, Christian Horner, a estimé que le changement de règlement en 2014 aurait coûté 33 millions US$ supplémentaires à son équipe championne (Red Bull venait alors de gagner les championnats 2010 à 2013 avec Sebastian Vettel et le moteur Renault V8). Et dire qu’un nouveau moteur hybride est entré en service en 2015 – plus vert et disposant toujours d’un moteur CI assisté d’un turbo !

Tout ce beau monde travaille aujourd’hui sur le prochain règlement moteur qui entrera en vigueur en 2026. Un moteur qui sera simplifié sur le plan de la technologie embarquée - c’est du moins la volonté des 4 manufacturiers impliqués en F1 - mais qui conservera l’architecture de base actuelle, soit le V6 turbo et son hybridation.

Crédit photo: Galeron