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Un monstre aux 500 milles d’Indianapolis en 1994 : La surpuissante Penske PC-23 à moteur Mercedes

Un monstre aux 500 milles d’Indianapolis en 1994 : La surpuissante Penske PC-23 à moteur Mercedes

Mardi 18 mai 2021 par René Fagnan
Crédit photo: Indianapolis Motor Speedway

Crédit photo: Indianapolis Motor Speedway

En 1994, l’écurie IndyCar de Roger Penske a frappé un grand coup en profitant largement d’un article du règlement technique de l’USAC à l’occasion des 500 milles d’Indianapolis.

Lors de la création de la série CART (Championship Auto Racing Teams) en 1979, les dirigeants d’Indianapolis et USAC ont conservé la mainmise sur les 500 Milles, l’épreuve phare de la saison. Cette course légendaire possédait donc un règlement technique qui différait un peu de celui de CART.

Afin d’attirer la participation de petits motoristes, USAC permis en 1991 l’utilisation de moteurs stock-blocks à "pushrods" (tiges de culbuteurs*) qui n’avaient pas à contenir des pièces de série. Ces moteurs étaient favorisés par une cylindrée accrue et une pression de suralimentation plus élevée. Buick fut le seul motoriste à tenter cette aventure. Jusqu’à ce que Penske Racing s’y intéresse...

« Selon mes souvenirs, tout a commencé après l’Indy 500 de 1992. Ce fut une mauvaise course pour nous, avec des résultats décevants » nous raconte Nigel Beresford, l’actuel chef d'équipe de DS Techeetah de Formule E et qui fut l’ingénieur de piste de Paul Tracy à cette époque. « Notre PC-21 à moteur Ilmor B était lente : soit elle générait trop de traînée, soit le moteur n’était pas assez puissant.»

Beresford raconte la suite : « Après les 500 milles de 1992, Roger Penske, Paul Morgan et Mario Illien [d’Ilmor] discutaient du manque de vitesse de nos voitures. Mario, je crois, a déclaré qu’il pouvait concevoir un moteur avec de courts "pushrods" pour Indianapolis.» Ilmor a donc commencé à dessiner un tel moteur, mais pas un V6 comme le Buick, mais un V8.

En 1993, Beresford a aidé Paul Tracy à remporter cinq victoires en série CART au volant de la Penske PC-22. Simultanément, Ilmor produisait ses premiers prototypes du moteur à "pushrods". Roger Penske ne voulait absolument pas que la nouvelle s’ébruite. Il fallait que ce projet demeure absolument secret afin de profiter d’un avantage sur les autres écuries : ce fameux "Unfair advantage" si cher à Penske...

Au début de l’automne 1993, Roger Penske réquisitionne un entrepôt de Penske Trucks situé non loin des ateliers de Penske Racing à Reading en Pennsylvanie pour y loger une minuscule équipe d’ingénieurs et de spécialistes de moteurs. « C’était un endroit sinistre avec un accès ultra restreint » poursuit Beresford. « Roger [Penske] avait dit "Nous n’avons pas besoin d’un Taj Mahal. Il faut un endroit fonctionnel, simple et secret. Personne ne doit entrer ici. Personne ne doit être au courant de ce projet". Les moteurs d’essais étaient donc assemblés dans cet entrepôt totalement anonyme.»

Beresford précise que les autres ingénieurs du département régulier des moteurs n’étaient au courant de rien. « Le soir, les gars du Taj Mahal apportaient un moteur au banc d’essai [situé dans les ateliers Penske Racing] et le faisaient tourner jusqu’à ce qu’il casse. Puis, ils le ramenaient au Taj Mahal pour inspecter ce qui avait cassé. Les gars du département moteurs qui entraient le matin ne comprenaient pas pourquoi l’eau du banc d’essais était chaude.»

Nigel Bennett, le designer, et son équipe conçoivent la PC-23 pour qu’elle accepte le moteur Ilmor D pour toute la saison et le bloc Ilmor 500I, ou Ilmor E, pour Indianapolis. « Les deux moteurs étaient physiquement différents. Il a fallu concevoir deux boîtes de vitesses, car le moteur à "pushrods" générait un couple phénoménal » précise Beresford.

Début des essais sur une piste... glacée

Les premiers essais en piste ont eu lieu sur le triovale de Nazareth, propriété de Penske, à la mi-décembre 1993. « C’était durant hiver glacial. Des employés ont déneigé la piste et tenter de la réchauffer avec des brûleurs. Les bancs de neige étaient si hauts qu’on ne voyait pas la voiture depuis les puits ! Il fallait grimper sur un banc de neige pour l’apercevoir. Paul [Tracy] portait une combinaison de motoneige et on lui dégelait les pieds avec des pistolets thermiques. Il a effectué un travail de développement incroyable » raconte Beresford.

Puis, les essais se sont poursuivis sur le superspeedway de Michigan. Les premiers moteurs cassaient après avoir parcouru 200 milles. Après des modifications, ce chiffre grimpa à 300, puis à 400 milles. Tandis que Tracy réalisait les premiers tours de roue de la Penske à "pushrods" à Indianapolis, Al Unser Jr poursuivait les essais au Michigan et enfin un moteur fracassa la barre des 500 milles.

Durant les essais à Indianapolis, Roger Penske s’est beaucoup investi. « Roger était inquiet que notre voiture soit désavantagée par le fonctionnement de la soupape de décharge. Il s’est personnellement occupé de tout gérer. "Changez-la, mettez celle-là" ordonnait-il » ajoute Beresford.

Le moteur à "pushrods" était ultra puissant. Au banc d’essais, il produisait 1024 chevaux, soit près de 200 de plus que les autres moteurs. « La voiture était si rapide que les pilotes arrivaient dans les virages avec beaucoup plus de vitesse qu’auparavant, au point tel qu’ils devaient freiner avant m’amorcer les courbes » raconte Beresford.

Ce n’est qu’au milieu du mois de mai qu’une association avec un grand constructeur automobile fut officialisée. « Roger [Penske] a financé le développement du moteur. Il a rencontré le conseil d’administration de Mercedes et leur a présenté le projet, mais ce dernier n’a pas voulu payer les frais de conception. Le couvre-culasse ne portait aucun nom. Ce n’est qu’au milieu du mois de mai qu’on m’a remis une casquette Penske Mercedes dans la ligne des puits et que le moteur a pris le nom de Mercedes.»

Durant les qualifications, Tracy a endommagé sa voiture... « Paul a tenté de négocier le virage 3 au moins 30 km/h de plus qu’il ne l’avait fait auparavant. Il a tapé le mur, a pris la voiture de réserve et s’est qualifié loin derrière » relate Beresford. « Al [Unser Jr] a réalisé la pole, ce qui nous a un peu surpris, car Emerson Fittipaldi était un extraordinaire metteur au point, incroyablement sensible au plus petit changement à sa voiture. En course, Emmo et Al se sont sauvés des autres. Mais en toute fin de course, Emmo s’est énervé même s’il avait un tour d’avance sur Al. Il ne savait pas si Al devait s’arrêter une autre fois. Lui devait stopper pour prendre un peu de carburant. Emmo a fini par s’énerver, perdre sa concentration et il a eu un accident. Paul a connu un bris d’axe de turbo, ce qui n’était jamais arrivé durant tout le mois. Il s’agissait d’un turbo tout neuf.»

Al Unser Jr a remporté la victoire devant une recrue, Jacques Villeneuve aux commandes de sa Reynard 94I-Ford Cosworth XB. Peu après, USAC et les dirigeants d’Indianapolis, alarmés par les coûts que représentaient de tels moteurs à "pushrods", décidèrent de réduire grandement leur avantage technique, les rendant pratiquement inutilisables. Le fossé séparant la série CART des gens d’Indianapolis poussa ces derniers à fonder une série rivale, l’Indy Racing League (IRL) qui débuta en 1996. Et ce fut la guerre entre les deux séries.


* Pushrods ou tiges de culbuteurs : une technologie utilisée par la plupart des gros moteurs V8 de "muscle cars" américains qui fut progressivement remplacée par un double arbre à cames en tête.