Nos plus jeunes lecteurs, ou ceux et celles qui se sont intéressés à la Formule 1 après l’année 2000 ne peuvent pas s’imaginer à quel point la survie de la F1 a été menacée par la lutte de pouvoir féroce qui a opposé la FOCA à la FISA au début des années ‘80.
Petite explication : à la fin des années ’70, la F1 change, car de grands constructeurs automobiles arrivent avec beaucoup d’argent et la technologie des puissants moteurs turbo. Les écuries traditionnelles, qui ne peuvent employer que le V8 Ford Cosworth DFV, sont nettement désavantagées. S'ensuit donc un affrontement terrible opposant les écuries de la FOCA (Formula One Constructors’ Association) menées par Bernie Ecclestone et la FISA (Fédération internationale du sport automobile), la branche sportive de la FIA, dirigée par l'impitoyable Jean-Marie Balestre.
En bref, la FISA est satisfaite de voir arriver les constructeurs automobiles en F1 tandis que la FOCA s’y oppose, car selon elle, les turbos déstabilisent l’équilibre de la F1 et vont faire mourir les petites écuries. De plus, les nouveaux règlements que concocte la FISA risquent de pénaliser encore plus les utilisateurs du vénérable Cosworth.
Les six premières courses de la saison 1980 sont teintés d’affrontements juridiques, de contestations diverses, de batailles de communiqués de presse et de menaces en tous genres. On se demande bien où s’en va la F1. En Belgique et à Monaco, Ecclestone ordonne aux pilotes des écuries FOCA de ne pas assister à la réunion des pilotes. Ce qui provoque la furie de Balestre.
Les écuries s’installent dans le paddock du circuit de Jarama pour le Grand Prix d’Espagne prévu le 1er juin. Jeudi, Balestre déclare que les pilotes de la FOCA qui n'ont pas assistés aux réunions sont suspendus, qu’ils perdent leurs licences et qu’ils seront remplacés par d’autres issus de la F2 ou F3. Vendredi, jour des premiers essais, la tension est à son comble.
Résumons les très longues heures de discussions en disant qu’Ecclestone a fait expulser du circuit tous les officiels de la FISA. La course est alors organisée par RACE (Real Automóvil Club de España) en collaboration avec… Ecclestone ! Ainsi, les pilotes n’ont plus besoin d’une licence de la FISA. En fin d’après-midi, les écuries “légalistes” de la FISA - Ferrari, Renault et Alfa Romeo - remballent leur matériel et quittent le circuit. La course pirate (que certains surnomment de course de Formule Ford) se fera sans elles.
Une course marquée par de nombreux abandons
Jacques Laffite installe sa Ligier JS11/15 en pole position devant la Williams FW07B d’Alan Jones, la Ligier de Didier Pironi, la Williams de Carlos Reutemann, la Brabham BT49 de Nelson Piquet et la McLaren M29B d’Alain Prost.
Les 10 premiers tours de la course sont très animés malgré l’intense chaleur qui règne dans cette région d’Espagne. Reutemann démarre comme une fusée et mène la course. Pironi perd graduellement des places tandis que Piquet remonte. Laffite chute en quatrième place puis remonte en deuxième.
Au 36e tour, Reutemann mène devant Laffite et le duo va prendre un tour à la Williams privée d’Emilio de Villota. Reutemann le double par la gauche tandis que Laffite tente de s’infiltrer à droite. La Ligier touche à la Williams espagnole qui va heurter l’autre Williams de Reutemann. Tous abandonnent.
Nelson Piquet se retrouve en tête, mais il abandonne au 43e passage à la suite du bris de sa boîte de vitesses. C’est alors Didier Pironi qui est propulsé en tête, mais sa joie est de courte durée, car au 66e tour sa roue avant droite se détache brusquement. Un autre abandon.
Tout cela profite à Alan Jones qui avait pourtant chuté à la cinquième place à la mi-course. L’Australien roule toutefois au ralenti, car ses pneus sont en très mauvais état et l’air surchauffé a fait grimper la température d’eau de son Cosworth à un niveau inquiétant.
Jones termine les 80 tours de la course en vainqueur avec une avance de 50”940 sur Jochen Mass sur une Arrows A3, Elio de Angelis (Lotus 81), Jean-Pierre Jarier (Tyrrell 010), Emerson Fittipaldi (Fittipaldi F7) et Patrick Gaillard (Ensign MN80).
Bernie Ecclestone rassure tout son monde. Selon lui, la course est légale et la FISA ne pourra rien faire contre. C’est la douche froide le lendemain quand Balestre annonce fièrement que ce Grand Prix d’Espagne ne compte pas pour le championnat du monde, que les pilotes qui y ont participé ne marquent aucun point et que les résultats ne seront pas comptabilisés. C’est bien ce qui est arrivé : le Grand Prix d’Espagne 1980 n’a, selon les statistiques officielles, jamais eu lieu.
Rétro 1980: Ce Grand Prix d’Espagne qui n’a jamais officiellement eu lieu
Jeudi 30 octobre 2025 par René FagnanCrédit photo: Galeron






