Peu d’amateurs se rappellent que les 500 milles d’Indianapolis comptaient pour le championnat du monde de Formule 1 de 1950 à 1960. C’était alors un témoignage du respect mutuel des deux disciplines et leur but commun d’augmenter la popularité du sport automobile à travers le monde. Hormis ces 11 éditions de l’Indy 500 intégrées à la F1, l’histoire nous rapporte durant cette période d’autres grands moments en piste, comme un événement aujourd’hui oublié : le Trophée des deux mondes, couru sur la piste ovale de Monza en 1957 et 1958.
L’aventure commence au milieu des années 1950, alors qu’un promoteur quelque peu excentrique et la marque de glaces italiennes Eldorado ont la bonne idée de mélanger le meilleur des deux séries (F1 et USAC – l’ancêtre de l’IndyCar) en organisant une course totalement différente de ce que l’on retrouve durant la saison régulière des deux disciplines : courir sur l’ovale crée par les deux grands virages paraboliques de l’Autodrome de Monza, et reliés par deux longs droits. On y invita dix Roadster américains venus directement d’Indianapolis, dix F1 et quelques voitures d’endurance, comme les Jaguar D-Type de l’équipe Écurie Écosse, qui excellait alors aux 24 Heures du Mans.
Les organisateurs imposèrent une limite de cylindrée de 4,2 litres selon les règles de l’United States Auto Club (USAC) et des renforcements pour survivre aux charges générées en virage relevé et par les bosses, le tout en allant jusqu’à 280 km/h. Pour sa part, la marque Eldorado cru bon de faire convertir en monoplace une Maserati 450S biplace si rapide en endurance, et engager Stirling Moss, le meilleur pilote au monde à l’époque avec Juan Manuel Fangio. Le projet était mal conçu, mais capable d’aller bien au-delà de 300 k/h. Les 450S, fragiles comme une coupe de champagne, gagnaient toutes les courses qu’elles terminaient. Ce qui se produisait très rarement. Mais quel coup de pub en Europe comme en Amérique.
Finalement, ce sont quinze inscrits, dont 10 Américains, que l’on retrouva au départ de l’édition inaugurale en 1957, pour le premier des trois sprints de 63 tours prévus, menés par la Jaguar D-Type de l’Écurie Écosse, gagnante aux 24 du Mans quelques semaines plus tôt et pilotée par Jack Fairman. Ce dernier fit bon usage de sa boîte à 4 rapports au départ contre les 2 deux rapports (départ et course) des machines américaines et il se donna une grosse avance dès le départ. Les Américains doublèrent le pilote anglais au 61ᵉ tour et Jimmy Bryan l’emporta devant six autres Roadster et les trois Jaguar D-Type inscrites par Écurie Écosse. Les F1, pas du tout conçues pour un ovale, fermèrent la marche.
Le scénario du deuxième sprint varia peu alors que le même Jimmy Bryan l’emporta devant quatre Roadster et les trois Jaguar. Seulement 6 des 8 partants terminèrent le troisième et dernier sprint. Troy Ruttmann l’emporta cette fois devant seulement deux Roadster et les trois même Jaguar solides comme un pont. Les pauses de 90 minutes entre les sprints permettaient de ramener en piste des voitures avariées par des conditions de course inhabituelles et la vitesse moyenne record au tour de 281 km/h contre 233 km/h à Indianapolis fut atteinte. Jimmy Bryan fut déclaré vainqueur au cumulatif d’une dure et spectaculaire épreuve de 189 tours, épuisante pour les pilotes comme pour les voitures.
La seconde édition en 1958 comprenait 9 voitures venues de chaque côté de l’Atlantique. La brochette issue de la F1 comptait cette fois rien de moins que Juan Manuel Fangio (quintuple champion du monde, sur un Roadster), Stirling Moss, Masten Gregory, Mike Hawthorn (champion du monde en 1958), Harry Schell, Luigi Musso, Phil Hill, Ivor Bueb, et Jack Fairman sur une monoplace Lister Jaguar, et tous issus des rangs de la F1.
Le premier sprint vit Jack Fairman et sa boite à 4 rapports mener les premiers tours, devant Jim Rathmann qui remporta la course devant Fairman, Bob Veith et Stirling Moss, 4ᵉ sur la Maserati Eldorado devant Johnny Thomson. Le courageux Luigi Musso sur une Ferrari 412MI officielle partagée avec Mike Hawthorn compléta le Top 6.
14 des 18 voitures issues du premier sprint revinrent pour le deuxième. Les forfaits volontaires ou imposés avaient éliminé Masten Gregory, Fangio ou encore Maurice Trintignant, remplacé par A.J. Foyt. Pour sa part, Jim Rathmann mena le peloton de bout en bout, devant Veith. Moss fut le meilleur pilote de F1 en 5ᵉ place tandis que Luigi Musso se maintint encore avec les meilleurs pilotes malgré un gros mal de dos, avant de céder le volant à Phil Hill, le futur (1961) champion du monde de F1.
Rebelote pour Rathmann au 3ᵉ sprint, devant Jimmy Bryan, la Ferrari de Hawthorn et Hill, deux Curtis Kraft Offy et Ivor Bueb avec l’unique Jaguar ayant rejoint l’arrivée. Seulement 6 pilotes terminèrent ce dernier sprint, sur 12 partants. Fangio avait abandonné au deuxième tour et un bris de la direction de la Maserati causa l’un des plus gros accidents de la carrière de Stirling Moss, au 40ᵉ tour. L’Anglais fut chanceux de s’en sortir indemne.
Au cumulatif des trois sprints, Jim Rathmann avait facilement dominé le contingent des pilotes de F1 et ses homologues américains lors de la présentation de cette édition 1958 sur le tracé hyper dangereux de l’ovale de Monza, avec sa voiture construite et préparée par A J Watson. « C'était le circuit le plus rapide et le plus difficile que nous ayons jamais vu, mais beaucoup d'entre nous étaient jeunes, fous et fauchés » confia quelques années plus tard Rathmann. « Donc, c'était juste une autre piste pour moi. Un Sprint Car sur la terre au Salem Speedway (Indiana) ou Winchester Speedway (Indiana) me faisait vraiment peur, mais Monza ne me dérangeait pas vraiment » avait-il conclu.
Le Trophée des deux mondes aurait dû se poursuivre en 1959 mais l’Automobile Club de Milan, qui avait en main la gestion de l’épreuve, avait perdu la commandite d’Eldorado et l’épreuve avait de toute manière été un gouffre financier en 1957 comme en 1958. L’édition 1959 fut alors annulée et plus jamais le Trophée ne fut relancé. Aujourd’hui, l’ovale de Monza existe encore partiellement. Il n’est plus utilisable pour un tour complet, toutefois certaines sections servent aux cyclistes ou encore lors du Monza Rally Show, une épreuve de démonstration, mais qui compta pour le Championnat du monde des Rallyes (WRC) en 2020 et 2021.
Le Trophée des Deux Mondes : Une course folle qui fut présentée en 1957 et 58 sur l'ovale de Monza !
Mardi 22 juillet 2025 par Marc Cantin
Crédit photo: Archives Maserati