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Les débuts spectaculaires de Jean Alesi en F1 en 1989 tels que vécus par un ingénieur de l’écurie Tyrrell

Les débuts spectaculaires de Jean Alesi en F1 en 1989 tels que vécus par un ingénieur de l’écurie Tyrrell

Mercredi 3 novembre 2021 par René Fagnan
Crédit photo: WRI2

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Ken Tyrrell a souvent eu le bon œil pour repérer les jeunes talents et leur accorder une chance de commencer en Formule 1. On n’a qu’à penser à Jackie Stewart, François Cevert, Patrick Depailler, Didier Pironi, Michele Alboreto, Stefan Bellof, Martin Brundle et un certain Jean Alesi, fils d’un immigrant sicilien.

L’histoire de la saison 1989 de l’écurie Tyrrell se résume en quelque sorte à celle d’un pilote dont la carrière commence à fléchir, Michele Alboreto, et celle d’un jeune loup aux dents longue qui découvre la F1, Jean Alesi.

Après avoir passé cinq saisons chez Ferrari, Alboreto accepte, en 1989, de revenir courir pour la petite écurie de ses débuts, Tyrrell. Cette même année-là, un jeune pilote français, champion de France de Formule 3, Jean Alesi, dispute le Championnat international de Formule 3000 avec l’équipe d’Eddie Jordan commanditée par Camel.

Pour Alboreto, le début de saison a été difficile, car il a de grandes difficultés à s’accommoder du cockpit ultra étriqué de la Tyrrell 017B. L’arrivée de la 018 le soulage et il décroche une belle cinquième place à Monaco. C’est justement à ce moment que Ken Tyrrell entre en négociation avec un commanditaire potentiel, Camel. Puisque Alboreto est un pilote Marlboro depuis des lustres, il s’inquiète de son sort et demande à son gérant d’aller vérifier la possibilité de changer d’équipe.

L’arrivée de Camel chez Tyrrell est officialisée et Alboreto trouve refuge chez l’écurie française Larrousse. Ken Tyrrell doit toutefois trouver un nouveau pilote en urgence pour le remplacer. « Tout s’est fait très vite en réalité » nous raconte Nigel Beresford qui était ingénieur chez Tyrrell à cette époque.

« Nous étions à l’usine après le Grand Prix du Canada et étions en préparation pour le Grand Prix de France présenté sur le circuit Paul-Ricard. Ken Tyrrell est venu nous voir à l’atelier avec en main le plus récent numéro du magazine Autosport qui contenait le résumé de la course de F3000 à Pau [course qu’Alesi venait tout juste de gagner]. Eddie Jordan venait de l’appeler pour lui proposer de placer son pilote, Jean Alesi, dans la Tyrrell en France en remplacement d’Alboreto. Alesi était un pilote Camel et Ken a effectué quelques recherches pour savoir de qui il s’agissait. Quelques jours plus tard, je suis arrivé à l’usine et j’ai eu la surprise de voir un gars avec des yeux bleus perçants assis dans la voiture d’Alboreto qui était montée sur la plateforme de réglages. J’ai demandé “Qui est-ce ?” Il s’agissait de Jean Alesi. »

Si Eddie Jordan a contacté Ken Tyrrell pour lui proposer les services de Jean Alesi, ce n’était pas par altruisme. Jordan était aussi l’agent d’affaires du Français et Eddie avait tout intérêt à faire monter son poulain en F1.

Alesi allait donc découvrir la Tyrrell 018 à moteur Ford Cosworth, une belle petite monoplace d’une simplicité désarmante, mais très efficace. « Harvey Postlethwaite et Jean-Claude Migeot ont quitté Ferrari et sont venus travailler chez Tyrrell. Disons que pour eux, ç’a été un véritable choc culturel, car chez Ferrari, ils avaient accès à beaucoup d’argent et des centaines de spécialistes. Chez Tyrrell, ils disposaient du strict minimum. S’ils désiraient quelque chose, ils devaient le faire eux-mêmes. Ils ont conçu la Tyrrell 018 qui harmonisait à la perfection ses compétences mécaniques et aérodynamiques. Elle changeait super bien de direction pour négocier les chicanes et était très prévisibles dans les virages rapides » ajoute Beresford.

Alesi a donc fait mouler son baquet quelques jours avant la tenue du Grand Prix de France, prévu pour les 7, 8 et 9 juillet 1989. « Nous n’avions pas le temps d’effectuer des essais avec lui. Il devait donc apprendre à piloter une F1 dès les essais libres du vendredi. Ken lui a dit d’y aller doucement, de prendre son temps pour augmenter le rythme et surtout de ne pas être déçu de ses performances. »

On connaît la suite… Sans expérience de la voiture, Alesi s’est qualifié en 16e place. À la fin du premier tour, il occupait déjà la 10e position. Au 26e tour, il était sixième ! Au fil des ravitaillements, il a roulé en deuxième place derrière la McLaren-Honda d’Alain Prost. Après 80 tours de course, il a croisé l’arrivée en quatrième position ! Une étoile était née.

Un diamant brut

« Il a disputé en course incroyable. Il nous a tous vraiment abasourdi » ajoute Beresford. Le lendemain, Harvey a rassemblé l’équipe à l’usine a nous a fait comprendre que nous avions une très belle carte à jouer avec Alesi. “Nous ne devons pas tout gâcher. Assurons-nous d’effectuer le meilleur travail possible, car ce gars-là sait vraiment comment piloter la voiture” nous a-t-il dit » confie Beresford.

On sait qu’Alesi possédait un talent brut extraordinaire. Mais cela n’explique pas tout. « Il était très facile de s'entendre avec lui. Il était très calme et poli. Il n’avait pas d’entourage politique. Il s’intégrait parfaitement bien dans l’atmosphère familial de l’écurie Tyrrell. Nous étions une toute petite équipe, sans beaucoup d’argent. Le staff technique consistait en Harvey, Jean-Claude et moi, un ingénieur novice. De plus, Alesi parlait français avec Jean-Claude et discutait en italien avec Harvey. Ken et toute l’équipe le soutenait. Il n’y avait pas de pression ou d’attentes de la part de la presse » précise Beresford.

Quelles étaient les principales qualités du pilote Alesi ? « J’ai toujours trouvé ses commentaires techniques très clairs, précis et concis » ajoute-t-il. « De plus, nous savions immédiatement ce que la voiture avait dans le corps, car Jean avait cette faculté d’en tirer le maximum dès qu’il entrait en piste. »

Beresford ajoute qu’Alesi savait non seulement accélérer et prendre les virages à très haute vitesse, mais qu’il savait aussi freiner. « Son habilité à freiner avec des disques froids était remarquable. Nous utilisions un matériau de disques différent de la plupart des autres écuries de F1. Comme Williams, nous employions des freins AP contenant un matériau produit par Hitco. Cette fibre était intégrée à la surface du disque et non pas en son intérieur. Ainsi, la chaleur n’était pas conduite à l’intérieur du disque, et demeurait plutôt en surface. Cela nous donnait de bons résultats, car la Tyrrell 018 était petite et légère. C’était donc une faible masse à ralentir, et cela permettait à Jean d’exploiter le freinage à son plein potentiel » termine le Britannique qui fut, par la suite, ingénieur chez Penske en IndyCar et en série IMSA et qui est aujourd’hui le directeur technique de l’écurie DS Techeetah de Formule E.