Site officiel de Pole-Position Magazine - Le seul magazine québécois de sport automobile

www.Poleposition.ca

Site officiel de Pole-Position Magazine

Technique : Les dessous des deux Williams à 6 roues de Formule 1

Technique : Les dessous des deux Williams à 6 roues de Formule 1

Samedi 19 décembre 2020 par René Fagnan
Crédit photo: WRI2

Crédit photo: WRI2

Au début des années 80, l’écurie de Formule 1 Williams a produit non pas une, mais deux monoplaces dotées de six roues !

Malheureusement, ces voitures n’ont jamais disputé un Grand Prix, car la FIA leur a coupé les ailes en modifiant le règlement technique de 1983, interdisant l’effet de sol, les jupes aérodynamiques, les dispositifs à quatre roues motrices et les bolides possédant plus de quatre roues.

Retour en 1981. Les voitures à puissants moteurs turbo commencent à dominer la F1. Renault et Ferrari mènent la marche, tandis que BMW et Alfa Romeo s’y préparent. L’écurie de Frank Williams, qui a remporté le Championnat des constructeurs l’année précédente, ne dispose pas de l’appui d’un constructeur automobile qui pourrait lui fournir un moteur turbo.

« Nous étions coincé avec le Ford Cosworth DFV atmosphérique qui concédait quelque 180 chevaux aux turbos » m’a expliqué Frank Dernie qui était l’ingénieur en chef chez Williams à ce moment-là. « Pour gagner de la vitesse avec un tel déficit de puissance, il nous fallait réduire la traînée aérodynamique. J’ai effectué des tests en soufflerie en remplaçant les deux énormes pneus arrière par quatre petits pneus avant. La réduction de traînée était phénoménale. Le gain en traînée fut d’environ 160 chevaux. »

Placer quatre petites roues à l’arrière procurait un énorme avantage aérodynamique. « J’ai muni la voiture de pontons latéraux très longs, incorporant des tunnels venturi gigantesques » ajoute Dernie. « Le règlement stipulait que les tunnels devaient s’arrêter à l’axe des roues arrière. Moi, j’ai allongé les tunnels jusqu’à l’axe du deuxième essieu, celui qui était le plus en arrière ! ».

Le constructeur britannique March avait conçu une monoplace de F1 à six roues d’un même arrangement en 1977, mais confronté à des problèmes techniques complexes et un manque flagrant de financement, l’équipe avait renoncé à faire courir cette voiture.

Une première version

Williams produit donc une première version de sa six roues au courant de la saison 1981. Il s’agit d’une voiture-laboratoire, la FW07D, que l’Australien Alan Jones, Champion du monde en 1980, teste sur le circuit de Donington Park quelques jours après sa victoire au dernier Grand Prix de la saison, celui du Caesars Palace à Las Vegas.

Quelques semaines après cet essai, Jones décide subitement de prendre sa retraite et Williams engage un pilote relativement méconnu pour la saison 1982, le Finlandais Keke Rosberg. L’équipe dispute les premières courses avec des FW07C (à quatre roues) et introduit sa FW08 (toujours à quatre roues) en Belgique. En même temps, Dernie et Patrick Head travaillent sur une FW08 à six roues.

« J’effectuais les études en soufflerie avec un jeune ingénieur nommé Ross Brawn. La FW08B à six roues était une évolution de la FW07D, et plus longue de 250 mm. Nous avons fixé des jupes flexibles en bas des pontons et l’effet de sol généré était si puissant que le voiture pouvait non seulement se passer de l’aileron avant, mais aussi de l’aileron arrière. Nos simulations brutes indiquaient que la FW08B aurait été capable de négocier le virage de Signes au Paul-Ricard à fond absolu à plus de 300 km/h » précise Dernie.

La voiture disposait deux caissons de transmission, et évidemment d’une seule boîte de vitesses. Le premier essieu était positionné 10 cm plus en avant de sa place originale. Les arbres de transmission étaient placés en angle afin de s’accommoder de cette disposition.

Durant la saison 1982, Rosberg, le pilote d’essais Jonathan Palmer et Jacques Laffite effectuent du roulage avec cette étrange monoplace. « Jacques a beaucoup roulé avec cette voiture, surtout sur le petit circuit tortueux de Croix-en-Ternois situé dans le nord de la France » précise Dernie. « Nous craignions que la formidable traction du train arrière fasse souvirer excessivement la voiture en sortie des virages lents. Ce ne fut pas le cas. Quand Jacques est revenu dans les puits pour la première fois, il m’a dit avoir totalement oublié que la voiture possédait six roues ! Il l’a adoré. » Au fil des essais, la FW08B devenait plus rapide et plus fiable, et elle devait commencer en Grand Prix en 1983.

Mais fin 1982, la FIA a eu vent de cette voiture à six roues qui risquait de fracasser des records de pistes, car trop efficace. D’où le changement de réglementation technique. « Patrick [Head] était furieux que cette voiture soit interdite de compétition. Mais c’est peut-être une bonne chose, car les autres équipes auraient évidemment voulu produire leur propre version d’une six roues et cela aurait pu engendrer des voitures dangereuses et certainement trop rapides » termine Dernie.

Il ajoute : « Nous n’avons fabriqué qu’un seul exemplaire du train arrière complet : transmission, différentiel et suspensions. C’est ce train arrière qui est toujours greffé à la FW08B. Cette voiture est en parfait état de marche et est parfois pilotée en démonstration.»

Crédit photo: Dickie Stanford / Twitter