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Rétro 1989 : L’étrange moteur W12 sans soupapes MGN testé puis abandonné par l’écurie AGS

Rétro 1989 : L’étrange moteur W12 sans soupapes MGN testé puis abandonné par l’écurie AGS

Mercredi 19 octobre 2022 par René Fagnan
Crédit photo: Twitter

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Le petit monde de la Formule 1 a connu son lot d’ingénieurs de génie et de créateurs délirants. Et il est parfois ardu de faire la différence entre les deux… Voici l’histoire de Guy Nègre et de son mystérieux moteur de F1 doté d’une étrange architecture et dépourvu de soupapes.

Le Français Guy Nègre est un ingénieur motoriste né en 1941 et qui travaille d’abord chez Renault et conçoit un mécanisme d’ouverture et de fermeture des chambres de combustion avec une valve rotative.

Le principe est simple : un seul arbre muni de grosses cames de forme ovoïde tourne juste au-dessus des chambres de combustion. Chaque came possède un orifice. En tournant, l’arbre expose l’orifice à l’admission, ce qui permet le remplissage de la chambre de combustion. En tournant un peu plus, l’orifice se déplace et la chambre devient étanche, ce qui permet la compression, l’allumage du mélange air/essence et son explosion. L’arbre tourne encore un peu et l’orifice entrouvre la chambre, ce qui permet aux gaz brûlés d’être expulsés vers les échappements. Ce mécanisme réduit le poids du moteur et élimine le phénomène d’emballement des ressorts métalliques à très hauts régimes.

En 1987, Nègre fonde sa propre entreprise, Moteur Guy Nègre (MGN), établie à Vinon-sur-Verdon dans le département du Var dans le sud de la France. Il rêve de Formule 1 et la future règlementation de 1989, qui interdit les moteurs turbo, lui offre une occasion en or de démontrer les avantages (supposés) de sa technologie.

Il songe à concevoir un moteur W12 fait de trois rangées de quatre cylindres chacun éloignées de 60 degrés et reliées à un seul vilebrequin. Le tout serait coiffé de valves rotatives. Cela en fait un bloc extrêmement compact qui devrait, selon lui, être plus puissant qu’un V8, V10 ou V12 atmosphérique.

C’est un travail colossal pour une équipe microscopique composée, semble-t-il, de seulement six personnes, incluant les usineurs. Nègre englouti beaucoup d’argent dans les études de ce moteur et la réalisation des cinq premiers exemplaires. Son objectif est de commercialiser ces moteurs auprès des petites écuries de F1 et ainsi renflouer ses coffres.

Le W12 est compact en effet : 420 mm de hauteur, 530 mm de largeur et 538 mm en longueur pour un poids annoncé de 120 kilos. Au banc d’essais, il produit, selon MGN, 630 chevaux et tourne à un régime maximal de 12 500 tours/minute. Sur papier, c’est winner.

Des ennuis gigantesques

En février 1988, une photo circule dans les médias et montre Guy Nègre et Henri Julien d’AGS posant près d’un banc d’essais sur lequel est boulonné le premier moteur MGN. Nègre a en effet conclu une entente avec la petite écurie française de F1 AGS, créée par Henri Julien, mais alors entre les mains de Cyril de Rouvre, un homme d’affaires énigmatique qui se retrouvera aux commandes de l’écurie Ligier quelques années plus tard. Julien possède dans sa collection la JH22 de 1987 pilotée par Pascal Fabre. Il la cède à Nègre pour y intégrer le MGN-01 et procéder aux premiers essais.

Un bon pilote amateur, Philippe Billot, est chargé de faire rouler la voiture sur le circuit privé de deux kilomètres du Grand Sambuc en septembre.

La petite équipe MGN réalise alors à quel point il est complexe et ardu de modifier plusieurs composantes de la monoplace afin d’installer le W12. Le résultat montre une voiture franchement pas très jolie qui semble être faite de vieilles pièces détachées rafistolées.

Déjà au démarrage, ce n’est pas la joie, car le moteur a des ratés. Après pas mal d’ajustements, Billot peut procéder à son essai, lui qui possède une bonne expérience du pilotage de voitures de F1. Il effectue une trentaine de tours au total. L’allumage du W12 est très perfectible et Billot ne peut pas tirer plus de 9000 tours.

En piste, le moteur ratatouille en bas de 7000 tours, puis il monte bien en régime jusqu’aux 9000 tours où Billot doit changer de rapport. Cependant, les soucis sont nombreux : voiture préparée sans argent, gestion électronique du moteur faite maison et pas suffisamment efficace, soucis d'étanchéité des chambres de combustion, problèmes de synchronisation entre l’allumage et la distribution, etc.

Dans une vidéo de l’époque (de mauvaise qualité), Billot dit être surpris par les bonnes sensations que procure le moteur. Il précise que le W12 possède pas mal de couple, qu’il grimpe très vite en régime et qu’il vibre beaucoup moins qu’un Ford Cosworth V8.

Pour les techniciens de MGN, tout ceci est néanmoins encourageant et ils songent à effectuer d’autres essais en poussant le W12 à des régimes plus élevés. Deux pilotes expérimentés, Pascal Fabre et Jean-Louis Schlesser, auraient été contactés par MGN pour procéder à d’autres essais.

Puis… plus rien. Pas d’argent, pas de développement. Face à un gouffre financier, MGN range ses cinq moteur W12 et Guy Nègre commence à s’intéresser à un nouveau moteur à air comprimé destiné à propulser des petites voitures citadines.

Pour les 24 Heures du Mans de 1990, Norbert Santos installe un bloc MGN W12 dans sa Norma M6. C’est une catastrophe. Le moteur refuse de démarrer et la Norma ne roule pas du tout durant les qualifications. Fin de l’aventure.