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L’histoire de la Harfang québécoise qui a mené Jean Beaulieu au titre de Formule 1600 en 1995

L’histoire de la Harfang québécoise qui a mené Jean Beaulieu au titre de Formule 1600 en 1995

Samedi 18 décembre 2021 par René Fagnan
Crédit photo: Archives Jean Beaulieu

Crédit photo: Archives Jean Beaulieu

Quelques monoplaces de Formule Ford 1600 ont été créées au Canada. Sans toutes les nommer, il y a eu l’Aero 2, la Ferret, la Chinook sans oublier les québécoises : la CMV, la Magnum et une autre, un peu moins connue, la Harfang.

Concevoir une telle voiture course à titre personnel, c’était vraiment choisir la façon difficile de courir ! Il était si simple d’expédier un chèque avec plusieurs zéros à un constructeur britannique pour obtenir un châssis roulant. Toutefois, quelques passionnés ont préféré prendre la route ardue et tout faire eux-mêmes afin de clamer haut et fort : c’est MA voiture.

La Harfang est une monoplace qui a été créée ici au Québec par une petit groupe d’enthousiastes : les trois frères Dulac de Sherbrooke et Jean Beaulieu, un coureur automobile polyvalent natif de la ville de Québec.

L’idée de concevoir et de fabriquer cette monoplace remonte à la fin des années 70 et est l’œuvre d’Alain Dulac qui était alors étudiant en génie mécanique à l’université de Sherbrooke.

« C’est en 1975 que j’ai eu l’idée de fabriquer une voiture de course. À cette époque, je rêvais de sport automobile et de Formule 1, mais mon programme de formation d’ingénieur n’avait rien à voir avec l’automobile. Ce projet de voiture de course n’avait donc rien à voir avec mes études. J’ai donc utilisé mes temps libres pour approfondir mes connaissances techniques sur l’automobile et lire tous les livres que j’ai pu trouver » nous a raconté Alain Dulac il y a de cela quelques années quand j’ai essayé la voiture (et je reste à ce jour le seul à avoir piloté la Harfang 84F à l’exception de Jean Beaulieu !)

En 1978, Alain Dulac commence le design de la suspension en utilisant l’un des premiers ordinateurs permettant la conception assistée. Après, il a dessiné le châssis tubulaire. « En 1981, la Formule 2000 préparait son entrée au Canada et j’ai décroché un emploi chez les autobus Prévost. La maquette de la Harfang à l’échelle ¼, en version F2000, a été évaluée durant une vingtaine d’heures en soufflerie. Nous avons étudié sa forme générale, avec et sans ailerons, avec et sans pontons latéraux. La conception de la Harfang F2000 nécessité environ 2000 heures de travail. Mon frère, Jacques Dulac, qui était alors étudiant en soudure au collège Édouard-Montpetit, a construit le châssis, nécessitant un autre 2500 heures de travail. Finalement, mon autre frère, Serge, a fabriqué toutes les autres pièces et la carrosserie. La voiture fut construite dans le sous-sol de la maison familiale à Sherbrooke et pour l’en sortir, nous avons dû la démonter partiellement ! »

Les trois frères ont investi 8000$ de leurs poches pour fabriquer le châssis et 6000$ pour se procurer un moteur, une boîte de vitesses et les freins. Cette somme de 14 000$ équivaut à près de 50 000$ en dollars actuels en tenant compte de l’inflation.

Il fallait un pilote

En revanche, les Dulac n’avaient pas du tout l’intention d’être au volant de leur création. C’est alors qu’entre en scène Jean Beaulieu. « Je demeurais à Québec. J’avais mon diplôme d’ingénieur en électricité en poche et me passionnais pour le sport automobile » nous raconte Beaulieu.

« J’ai commencé à courir en catégorie Production avec une Renault R8 Gordini à Québec. J’ai participé à des épreuves de solo, rallye, course sur glace, course de côtes, puis circuit routier en été avec cette voiture. Puis, en 1973, j’ai disputé le championnat de F1600 de l’école Jim Russell du Mont-Tremblant. J’ai ensuite acheté une Titan de Formule Ford, mais elle fut détruite dans un incendie. J’ai couru en série Honda de 1976 à 1978, mais un manque d’argent m’a forcé à mettre ma carrière sur pause. »

En 1982, Beaulieu accepte un poste d’ingénieur en essais de véhicules au centre d’essais de Blainville [PMG Technologies]. « Un ami m’appelle et me dit qu’un gars a commencé à construire une voiture de course et qu’il chercherait peut-être un pilote… » ajoute Beaulieu. Ce gars-là, c’était Alain Dulac.

À cette époque, une série de Formule 2000 est créée au Canada, commanditée d’abord par Walter Wolf, puis par Motomaster. « C’était LA série, avec de bonnes bourses et une excellente couverture médiatique. Je me joins aux frères Dulac et une fois la voiture terminée, je réalise son déverminage et les premiers tests au centre d’essais. En plus de vérifier le bon fonctionnement des organes mécaniques, j’avais une demi-douzaine de barres antiroulis, une caisse de ressorts et bien d’autres pièces à tester. Il fallait tout découvrir. La voiture possédait des pontons à effet de sol (voir la photo ci-dessous). C’était rudimentaire, mais ils fonctionnaient un peu trop bien, car à haute vitesse la voiture frottait par terre ! Nous n’avions pas assez de puissance pour autant d’appui. »

La Harfang effectue sa première course au Grand Prix de Trois-Rivières en 1984. Après y avoir apporté quelques modifications, elle revient en piste en 1985, toujours avec Beaulieu au volant. « On a connu beaucoup d’ennuis de surchauffe en 85. Ç’a pris bien du temps pour qu’on trouve le problème. On a vraiment travaillé dur pour trouver le bobo. Durant l’hiver 85/86, on a changé des trucs et dès les premières courses de 1986, la voiture allait mieux. Peter Lockhart, qui courait en F2000 sur une Reynard de John Powell, m’avait dit “J’ai beaucoup d’admiration pour ce que vous faites…” Cependant, il y a eu une baisse de motivation dans l’équipe et je me suis retrouvé un peu seul avec ma blonde pour courir, avec très peu de budget. Fin 1986, j’ai ramené la voiture chez moi et je l’ai posée sur des tréteaux. Sans argent, impossible de réaliser des miracles. »

Beaulieu était quand même content de la monoplace. « Elle possédait une surface frontale très réduite et offrait peu de résistance à l’air. Le châssis et la carrosserie étaient très bien réalisés. Sa suspension était assez souple, avec des bras basculants à l’avant comme sur les Reynard. Pour cette raison, elle fonctionnait très bien sous la pluie » ajoute-t-il.

Un retour sur les circuits

Après quelques années d’absence, la Harfang est revenue en piste en 1991. « Une série professionnelle canadienne de Formule 1600 fut créée en 1990. J’ai décidé de transformer la Harfang en F1600, et la nommer 84F. Elle était un peu lourde et on a dû travailler pour installer le nouveau moteur, mais la voiture est demeurée presque identique » poursuit Beaulieu.

Après avoir disputé quelques courses en série canadienne en 1991, Beaulieu décide de se concentrer sur le championnat québécois de F1600, moins cher à disputer. Le premier podium survient le 6 septembre 1992 au circuit du Mont-Tremblant avec une troisième place. Beaulieu grimpe deux autres fois sur le podium en 1994 et c’est la consécration en 1995. Beaulieu et la Harfang 84F récolent enfin une victoire et terminent huit fois sur le podium pour décrocher le titre de champions du Québec de F1600 (voir la photo ci-dessus).

« Par après, la F1600 est devenue plus chère et beaucoup plus compétitive. La voiture vieillissait et était techniquement dépassée. Elle est maintenant entreposée en sécurité, mais je songe à la remettre dans son état original de F2000 et de m’amuser à son volant ! » nous confie Beaulieu.

Les Dulac ont ensuite produit une autre voiture, la Harfang 00 de F1600. Plusieurs concurrents se sont succédés à son volant au fil des saisons. En 2018, la voiture fut confiée à Olivier Dulac, le fils de Jacques.

Crédit photo: Archives Jean Beaulieu