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Technique : Le piqué des voitures de F1 expliqué, ou pourquoi le “rake” de la Red Bull est-il si prononcé ?

Technique : Le piqué des voitures de F1 expliqué, ou pourquoi le “rake” de la Red Bull est-il si prononcé ?

Vendredi 26 novembre 2021 par René Fagnan
Crédit photo: WRI2

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Dans cet article technique - pas trop technique quand même… - je vais tenter d'expliquer pourquoi la Red Bull de Formule 1 roule avant le train arrière aussi haut en l’air alors que la Mercedes roule beaucoup plus à plat.

Cette attitude des monoplaces est appelée “rake” en anglais, ou piqué en français. La Red Bull possède donc un piqué très prononcé avec son museau écrasé su sol et son train arrière haut perché. Dans un article publié sur le site F1technical, trois aérodynamiciens et experts de la CFD, Timoteo Briet, Enrique Scalabroni et Nacho Suárez, ont effectué des simulations informatiques sur ce fameux piqué.

Petit retour en arrière quand Colin Chapman a introduit l’effet de sol en F1 avec la Lotus 78. Les pontons logeaient des ailes d’avions inversées qui créaient une succion qui “collait” la Lotus à la piste, ce qui lui permettait de rouler très vite dans les virages.

Fin 1982, pour des raisons de sécurité, la FIA obligea par règlement les F1 à posséder un fond plat et non plus des pontons déporteurs. Les ingénieurs s’aperçurent rapidement qu’un fond plat pouvait générer autant d’appui aérodynamique que des pontons déporteurs.

Les monoplaces de F1 actuelles sont toujours soumises à cette règle du fond plat. Ainsi, tout le dessous de la voiture doit être plat et lisse jusqu’au diffuseur arrière (à l’exception d’une plaque d’usure).  

Le piqué est l’angle dessiné par le fond plat de la voiture par rapport au sol. Plus l’inclinaison est importante, plus grand sera l’appui aérodynamique. Dans le cas d’un piqué prononcé, comme c’est le cas avec la Red Bull, le fond plat et le diffuseur doivent travailler en parfaite harmonie. Si ce n’est pas le cas, il y a de gros risques que l’air se bloque à haute vitesse sous le plancher, résultant en des ennuis de décrochage et de perte d’appui. En d’autres mots, il ne suffit pas de hausser l’arrière du bolide pour qu’il génère plus d’appui comme par miracle.

En résumé, l’air qui s’engouffre sous la voiture effectue le parcours suivant : il entre par l'avant sous le plancher et s'accélère au fur et à mesure que la surface de la section transversale diminue. Il glisse sous le plancher en produisant une basse pression qui aspire la voiture vers le bas (force descendante) puis il atteint le diffuseur et sort par l'arrière de la voiture.

Des réglages mécaniques cruciaux

Les ingénieurs qui exploitent le concept de piqué très prononcé insistent sur le fait que la voiture doit aussi intégrer des réglages mécaniques bien précis. La Red Bull-Honda possède une suspension arrière dotée d’une double rigidité verticale et d’une suspension avant qui contrôle la garde au sol avec une grande précision.

La suspension arrière doit disposer de deux rigidités verticales. Quand la garde au sol est élevée, soit entre 165 et 85 mm, la suspension arrière doit être souple. Au contraire, quand la voiture s’écrase et que la garde au sol diminue entre 85 et 45 mm, la suspension soit être beaucoup plus dure afin de varier très peu.

La Red Bull a donc un piqué faible sur les lignes droites et un piqué prononcé au freinage et à l’amorce des virages, surtout les lents. Lors d’un freinage, l’avant de la voiture plonge vers le sol tandis que le centre de gravité monte. L’étrave avant se rapproche à 3 mm de la surface de la piste, ce qui augmente l’appui puisque l’aileron est désormais situé très près du sol. L’étrave et l’aileron ne touchent pas au sol à cause de la présence du troisième élément* et d’une barre antiroulis extrêmement rigide. Une mince plaque de tungstène, placée devant la voiture, permet de protéger l’aileron. Si cette plaque frotte par terre, elle fait jaillir d’impressionnante gerbes d’étincelles.

Quel est l’avantage d’avoir l’aileron avant placé aussi près du sol ? En gros, cela élimine presque totalement le sousvirage dans les virages lents et moyens, et permet des changements de direction quasiment instantanés. Par contre, en amorce de virage, la roue arrière intérieure a tendance à se soulever. La voiture tourne presque sur trois pneus. Le virage est ainsi négocié un peu plus vite.

Cependant, cela peut faire surchauffer le pneu arrière extérieur, car il a tendance à patiner. Pour éviter ce délestage, le différentiel doit posséder un haut pourcentage de blocage, approximativement de 60 à 65%. En comparaison, une voiture avec un piqué moins prononcé va plutôt souffrir de sousvirage et placer du stress sur ses pneus avant.

Des avantages aérodynamiques

Une monoplace de F1 possédant un piqué prononcé dispose aussi d’un atout aérodynamique. Sur les lignes droites, l’arrière du bolide, suspendu mollement, s’abaisse. Le fond plat génère plus de succion, mais sans produire de traînée, ce qui est excellent pour les virages rapides. De plus, l’inclinaison de l’aileron arrière se trouve à changer légèrement. En s’abaissant, il devient plus plat et génère un peu moins de traînée. Au freinage, l’avant de la voiture plonge tandis que le train arrière de la voiture remonte, ce qui change encore l’angle de l’aileron arrière qui devient cette fois plus incliné et produit plus d’appui et plus de traînée, ce qui améliore la qualité du freinage.

Il faut comprendre que toute la voiture est créée selon une philosophie aérodynamique précise et une plateforme donnée. Il est pratiquement impossible de changer de philosophie en cours de saison et même d’une année à une autre. Toute la voiture - l’aileron avant, l’étrave, le fond plat, les pontons, le diffuseur et l’aileron arrière - sont tous conçus pour travailler en parfaite harmonie. Le moindre petit changement peut faire perdre trois ou quatre dixièmes de seconde au tour. La Mercedes W12 actuelle est une évolution de la W05 de 2014. Même chose pour la Red Bull RB16B de cette année qui est une évolution de la RB10. Ces deux monoplaces n’ont pas tellement changé au cours des huit dernières années, car leurs plateformes n’ont pas été modifiées.

Alors si c’est si merveilleux, pourquoi l’écurie Mercedes n’a-t-elle donc jamais adopté le concept de piqué prononcé ? C’est une affaire de philosophie du directeur technique et de l’équipe d’ingénieurs qui ont toujours favorisé une voiture avec un piqué peu prononcé. Ont-ils raison ? Difficile à dire, mais sachant qu’ils disposent d’un groupe hybride un peu plus performant et habituellement plus puissant que le Renault ou le Honda, et d’une répartition des masses spécifiques, ils ont préféré jouer la carte de l’évolution au lieu de celle de la révolution. Pourquoi vouloir modifier en profondeur une voiture qui gagne ?

*Le troisième élément est un amortisseur placé à plat entre les deux barres de torsion et qui les relie. Son but est d’agir comme une butée de suspension et empêcher que l’avant du châssis touche le sol.