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L’ingénieur Jock Clear dévoile des détails captivants sur la carrière de Jacques Villeneuve chez Williams

L’ingénieur Jock Clear dévoile des détails captivants sur la carrière de Jacques Villeneuve chez Williams

Lundi 13 septembre 2021 par René Fagnan
Crédit photo: WRI2

Crédit photo: WRI2

Dans un podcast récemment publié sur le site officiel de la Formule 1, le Britannique Jock Clear, qui a été l’ingénieur de piste de Jacques Villeneuve durant quatre saisons, notamment chez Williams, a livré quelques anecdotes sur le pilote québécois.

Clear a été l’ingénieur de Villeneuve dès son arrivée en Formule 1 chez Williams en 1996, année où il a bien failli être sacré Champion du monde. La saison suivante fut la bonne, Villeneuve récoltant le titre après un dépassement musclé sur la Ferrari de Michael Schumacher lors de la dernière épreuve de la saison, le Grand Prix d’Europe disputé sur le circuit de Jerez.

Dans le podcast, Clear désire hausser la cote de Villeneuve. « Je ne veux pas défendre Jacques de manière exagérée, mais je pense que bien des gens sous-estiment ce qu'il a accompli en tant que pilote. J’entends encore bien des gens affirmer : “Oui [ce fut un bon pilote], mais il n'a pas vraiment été un Champion du monde digne de ce titre”. Souvenez-vous qu’il a aussi gagné l’Indy 500, qu’il a été champion d’IndyCar et qu’il a complètement anéantit ses coéquipiers [chez Williams] au volant d’une voiture fantastique ».

Clear parle ouvertement du tout premier essai que Villeneuve a réalisé aux commandes d’une monoplace de Formule 1, car il a tout vu. C’était un essai de trois jours sur le circuit de Silverstone en 1995. Lors des deux premiers jours, Jacques a roulé en compagnie de Damon Hill, puis, lors de la troisième journée, le 3 août, il fut confronté à David Coulthard qui avait été le pilote d’essais de l’écurie en 1994 et qui avait disputé 15 Grands Prix à ce moment-là.

« Jacques était en confrontation directe avec David [Coulthard] pour un volant en 1996. Je ne sais pas si l’accord avec Williams était déjà conclu, mais ce test était crucial. Jacques s’est vite habitué au pilotage d’une F1. À la fin de la troisième journée, les deux pilotes ont eu droit à deux trains de pneus neufs afin de simuler une qualification. Avec son premier train, David a été plus vite que Jacques de 0”15 ou deux dixièmes de seconde. Puis, David a passé son second train de pneus, mais il n’a pas été aussi rapide. J’étais l’ingénieur de David et nous étions assis sur le coffre d’outils dans le garage, et David voyait Jacques prendre la piste sans pouvoir répliquer. Il s’est tourné vers moi et m’a dit, paniqué: “Ce n’est pas bon ! Ça ne regarde pas bien ! Ce type peut être aussi rapide que moi !” Par contre, Jacques a oublié d’actionner la pompe à essence et est tombé en panne au troisième virage. Il n’a jamais effectué son second run en pneus neufs. »

Villeneuve provoque la colère de Patrick Head

Jacques Villeneuve avait des idées bien précises et dès sa première saison chez Williams, il a clairement fait savoir ce qu’il voulait. « L’écurie Williams était une équipe fantastique. Elle possédait une excellente dynamique. Mais Frank [Williams] et Patrick [Head] étaient aux commandes et les pilotes n’étaient pas toujours écoutés. Jacques est arrivé dans l’équipe avec une attitude rebelle. Patrick n’avait aucun respect pour sa victoire à l’Indy 500. Mais Jacques était prêt à se battre pour obtenir ce qu’il voulait. Tout ce qui concernait Jacques était inattendu ou surprenant. »

Clear donne un cas précis. « Par exemple, il voulait une course d’accélérateur ridiculement courte. La plupart des pilotes actuels désirent un déplacement de pédale situé entre 50 et 70 mm. Le plus court que j’avais vu avant Jacques était de 45 mm. Jacques voulait 22 mm ! Cela mettait Patrick en furie, clamant qu’il n’arriverait pas à piloter correctement. Il criait “ Qu’est-ce que c’est que cet idiot ! N’a-t-il pas une seule idée de ce qu’est une voiture de course ?” Je devais aussi fabriquer son volant à la main. Les volants étaient ronds et ne possédaient pas de prises de mains moulées. J’enrobais donc le moyeu du volant de ruban électrique pour lui fabriquer des prises confortables. Jacques m’avait expliqué “Si je peux tenir le volant correctement, j’aurai plus de contrôle”, ce qui est plein de sens. Mais Patrick m’engueulait parce que je passais du temps à modifier le volant. “Alan Jones n’avait pas besoin d’un volant comme ça. Pourquoi Villeneuve en veut-il un ? »

« Patrick affirme encore aujourd’hui que Jacques n’était pas un très bon pilote, et qu’il a bien failli ne pas devenir Champion du monde. Il dit qu’il a perdu des victoires et beaucoup de points en commettant des erreurs. Mais selon moi, il ne le pense pas. Il a adoré travailler avec Jacques qui le faisait sortir de ses convictions et de sa zone de confort » soutient Clear.

Le dernier point fascinant du podcast concerne, évidemment, la fameuse course de Jerez quand Villeneuve a doublé de façon agressive Michael Schumacher pour s’envoler vers son titre de Champion du monde.

« À partir du milieu de la saison, Jacques a commencé à échafauder des théories du complot ou de conspiration, affirmant que l’establishment de la F1 ne pas qu’il remporte le titre. Magny-Cours avait été une course terriblement décevante pour lui et selon moi, ce sentiment de complot contre lui était une conséquence de sa frustration. Toutefois, il est parvenu à mettre tout cela de côté et à se reconcentrer sur le titre. Le matin de la course de Jerez, je me suis levé et je me suis dit “Allons gagner ce championnat !” Jacques, lui, n’a jamais montré de nervosité. Il était très concentré. Nous avons échafaudé des dizaines de scénarios selon ce qui pouvait se passer en course. Jacques était convaincu que Michael [Schumacher] n’hésiterait pas une seconde à refaire le coup qu’il avait fait à Damon [Hill] en 1994. “Si l’occasion se répète, il va me faire la même manœuvre”, disait-il. Alors quand Jacques a plongé à l’intérieur du virage à Jerez, il savait que soit ça marchait et qu’il doublait Schumacher, soit que Michael lui tapait dedans. C’est ce qui est arrivé. Il savait ce qu’il risquait. C’était téméraire, mais c’était sa façon de piloter. On a ensuite demandé à Heinz-Harald [Frentzen, le coéquipier de Villeneuve] de rouler à côté de la voiture de Jacques pour constater les dégâts. Il y avait bien quelques dommages, mais rien de très grave. Le pneu de la Ferrari avait tapé contre le ponton et le radiateur gauche ; l’endroit où la carrosserie est la plus solide. C’est la raison pour laquelle la Ferrari a rebondi. Ce que nous ne savions pas à ce moment-là est que la batterie s’était désolidarisée et qu’elle aurait pu se déconnecter.

Jock Clear croit-il que Jacques Villeneuve a gaspillé le reste de sa carrière en acceptant l’offre de Craig Pollock de fonder l’écurie British American Racing ? « Cette écurie BAR est devenue Brawn, puis Mercedes. Jacques peut donc probablement dormir tranquille la nuit en sachant l'équipe qu’il a fondé est devenue celle qui domine actuellement la F1 » insiste Clear.