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Durant les années 70, Renault innove en F1 avec le premier moteur turbo

Durant les années 70, Renault innove en F1 avec le premier moteur turbo

Mardi 7 juillet 2020 par René Fagnan
Crédit photo: Archives Renault

Crédit photo: Archives Renault

Si la présence de Renault en Formule 1 est assez discrète ces années-ci, sachez que le constructeur automobile français a révolutionné la Formule 1 en 1977 en introduisant la technologie de la suralimentation en Grand Prix; technologie encore employée en 2020 avec les unités de puissance turbo hybrides

On sait que Renault et son pilote Jean-Pierre Jabouille ont débuté en F1 à l’occasion du Grand Prix de Grande-Bretagne disputé le 14 juillet 1977, soit il y a presque 43 ans jour pour jour. Jabouille s’était qualifié au 21ème rang sur 26 et sa course n’avait duré que 16 tours, ayant été victime du bris du turbo de son moteur V6. C'est lors de ce même Grand Prix que Gilles Villeneuve avait fait ses débuts en F1, sur McLaren...

Mais aujourd'hui, nous vous racontons ce qui s’est passé avant ce 14 juillet 1977 : l’histoire du développement de la première voiture à moteur turbo à rouler dans un Grand Prix moderne.

En avril 1972, la direction de Renault et celle de la pétrolière Elf [deux entités de l’état français] demandent aux ingénieurs de Renault-Gordini de travailler sur un nouveau moteur de compétition qui serait révolutionnaire. Après des mois de labeur, il en résulte un V6 deux litres, présenté en janvier 1973 et installé dans une barquette Alpine A440 pour disputer des courses d’endurance. C’est une évolution turbo de ce moteur qui va gagner les 24 Heures du Mans en 1978.

Courant 1974, Bernard Dudot, le chef motoriste, effectue un stage aux États-Unis où il assiste aux course USAC (IndyCar). Les moteurs de ces monoplaces sont tous suralimentés par une turbine. Dudot revient en France, convaincu que cette technologie peut fonctionner en F1. Il faut savoir qu’en F1 à ce moment-là, la formule d’équivalence est de deux pour un ; un moteur atmosphérique doit posséder une cylindrée de trois litres et un moteur turbo, qui est autorisé à courir, doit posséder une cylindrée de 1,5 litre, soit la moitié. Tout le monde est convaincu qu’un moteur turbo ne sera jamais compétitif en F1. Tout le monde, sauf les techniciens de Renault...

« En gros, nous avons réduit la cylindrée du V6 de deux litres à 1500cm3 et l’avons muni d’une turbine. Nous avons fabriqué deux moteurs expérimentaux et les avons testés au banc et, tout de suite, nous avons obtenu 525 chevaux » nous a raconté François Castaing, directeur technique de l’équipe à cette époque et qui a travaillé sur ce premier moteur turbo en compagnie de Jean-Pierre Boudy.

Quelques mois plus tard, un moteur V6 turbo expérimental est installé dans une Alpine A442 d’endurance et l’équipe va effectuer un essai secret au circuit Paul-Ricard. C’est un désastre. Le temps de réponse du turbo est beaucoup trop long. Sur les ovales américains, les voitures USAC ne freinent pas, ce qui permet au moteur de rester en haut régime et de faire souffler la turbine à pleine pression sans discontinuer. Sur un circuit routier, il y a des virages et quand Jabouille appuie sur l’accélérateur, il ne se passe rien ! Castaing avoue qu’il fallait compter deux ou trois secondes pour qu’arrive enfin la puissance.

Mais la petite équipe demeure convaincue qu’elle a raison d’insister. Chez Alpine, André de Cortanze dessine un châssis monocoque en aluminium tandis que Lionel Hubert développe la carrosserie de ce qui devient le prototype A500. En avril 1976, Renault crée Renault Sport à Viry-Châtillon afin de regrouper ses troupes autour du projet F1.

Simultanément, le V6 de deux litres, en version atmosphérique, est installé dans la Elf Switzerland de Formule 2 avec laquelle Jean-Pierre Jabouille remporte le Championnat d'Europe de Formule 2 en 1976.

Le 21 mai 1976, Jabouille effectue les premiers essais de l'A500 de F1 toute noire sur la piste d’essais de Michelin à Clermont-Ferrand. Les ingénieurs ont le visage long. Le temps de réponse du turbo atteint jusqu’à quatre secondes en sortie de virage ! Quand le turbo se met à souffler, la puissance grimpe brutalement de 130 à 500 chevaux ! Et pour compliquer les choses, Renault, qui effectue ses premiers essais avec des pneus Goodyear, doit aussi procéder au développement des nouveaux pneus radiaux Michelin.

Un turbo trop paresseux

Le premier turbo utilisé était celui d’un gros camion. Il possédait beaucoup trop d’inertie, ce qui allongeait le temps de réponse. « Garrett USA voulait bien nous donner les turbos, mais ne voulait pas les modifier. Avec l'aide de Garrett France, nous avons modifié nous-mêmes les turbos, des hybrides en fait, en prenant des carters de petites turbines équipés de gros compresseurs » poursuit Castaing.

Si le temps de réponse est un peu amélioré, la piètre fiabilité du moteur n’est pas du tout résolue. La température du moteur grimpe trop, et plusieurs pièces finissent par saisir. « Nous devions mieux contrôler la combustion et la température de l'air compressé afin de refroidir les pistons. Mahle [fabricant de pistons] disposait de solutions pour refroidir des gros pistons de moteur diesel très suralimenté. Leurs ingénieurs nous ont aidé. Nous avons finalement découvert qu'il était possible de faire circuler de l'huile derrière les segments, ce qui aidé à stabiliser les problèmes d'écrasement des gorges de segments qui faisaient casser nos moteurs » explique Castaing.

Entre-temps, l’équipe du châssis travaille sur la maquette en bois de la future RS01. L’effet de sol n’a pas fait son apparition en F1 et la carrosserie de la voiture est assez rudimentaire. En mai 1977, Jabouille effectue les premiers essais de la RS01 sur le circuit Paul-Ricard. Si le temps de réponse est encore trop long, au moins la voiture roule et les ingénieurs apprennent à la faire fonctionner. Le 14 mai 1977, la Renault-Elf RS01 est dévoilée sur les Champs-Élysées à Paris. Deux mois plus tard, elle dispute son premier Grand Prix.

« Nous étions les seuls avec Ferrari à fabriquer notre châssis, notre moteur, nos suspensions et nos boîtes de vitesses » ajoute Castaing. « Renault Sport n’employait que de 150 personnes à l’époque et le budget F1 annuel tournait aux environs de trois ou quatre millions de dollars. Il nous fallait tout découvrir. L’équipe était nouvelle, Jabouille n’avait jamais couru en F1, nous ne connaissions pas les circuits, ni les pneus radiaux Michelin, ni la suralimentation. Mais nous y sommes parvenus. »

Crédit photo : Archives Renault
Crédit photo : Archives Renault