À une certaine époque (révolue), un coureur automobile jouissant d’une certaine notoriété pouvait louer une monoplace de Formule 1 et tenter de disputer un Grand Prix. Imaginez une scène similaire aujourd’hui si un pilote qui ne possède aucune expérience de la F1 louait une Red Bull ou une McLaren pour courir en Grand Prix !
C’est pourtant ce qu’a fait le Torontois Bill Brack en 1968. Celui qui a été un grand rival de Gilles Villeneuve en Formule Atlantique au courant des années ’70 est né en décembre 1935 et a commencé à courir au volant d’une Mini. Doté d’un bon sens des affaires, il ouvre ensuite son propre garage, Sports Cars Unlimited, et devient l’importateur officiel des voitures Lotus pour le Canada.
Brack prend le volant d’une Lotus 47 et devient champion canadien de voitures sedan en 1967. Il passe ensuite à la monoplace et court en Formule B.
Le premier Grand Prix de F1 du Canada a eu lieu en 1967 à Mosport Park et Brack n’a pas l’intention de rater celui de 1968 ; pas comme spectateur, mais bien comme concurrent ! « J’ai appelé Colin Chapman [patron de Lotus Cars et du Team Lotus] et je lui ai parlé du Grand Prix [du Canada] et de la possibilité de piloter la troisième voiture, celle de secours, à cette occasion » raconte Brack dans une entrevue accordée au site web Canadian Racer. « Pour la somme de 6000$, il m'assure que je pourrai conduire la troisième voiture » ajoute-t-il.
Brack fait envoyer la somme d’argent requise au Team Lotus basé au Royaume-Uni pour confirmer que trois Lotus 49B à moteur Ford Cosworth DFV seront expédiées à Montréal, puis au circuit du Mont-Tremblant à St-Jovite pour la course du 22 septembre.
Une semaine avant la course, une rencontre de presse est organisée à l’hôtel Sutton Place de Toronto afin de faire la promotion de l’événement. Brack demande à Graham Hill, un autre pilote du Team Lotus, de participer à cette conférence. Ce dernier accepte et prend l’avion en direction de Toronto.
Une mauvaise surprise pour Graham Hill
C’est Bill Brack qui lui sert de chauffeur entre l’aéroport et l’hôtel. « Je suis vraiment enthousiaste à l’idée de courir avec vous à St-Jovite » lui dit Brack. Hill est estomaqué. Brack poursuit : « Oui, oui. J’ai conclu un accord avec Colin et je vais conduire la troisième voiture ». Hill le regarde et rétorque : « Quoi ? Jamais de la vie ! » Le Britannique moustachu était alors en lice pour le titre mondial et il désirait posséder toutes les chances de son côté.
Jeudi avant la course, Brack se présente dans le paddock et comprend que Hill et Chapman ont eu une bonne discussion. Hill a peut-être même posé certaines conditions, car les pilotes titulaires, lui et Jackie Oliver, doivent avoir un accès facile et rapide à la voiture de secours.
Chapman explique à Brack qu’il a droit à cinq tours de piste et pas un de plus lors des essais libres. C’est un coup de massue pour Brack qui n’a jamais conduit une monoplace de F1 de sa vie. Le scénario se répète pour les qualifications et Brack n’a droit qu’à cinq tours. Jackie Oliver lui prodigue des conseils et Brack réalise le 21ᵉ temps sur 22 en 1’41”2. Un autre Canadien, Al Pease, se qualifie en dernière place en 1’49”6 à bord d’une Eagle T1F-Climax.
Jochen Rindt inscrit la pole position 1’33”8 dans sa Brabham BT26-Repco. Il devance Chris Amon sur une Ferrari 312/68 (1’33”8) et le Suisse Jo Siffert dans une Lotus 49B-Ford privée de l’écurie Rob Walker/Jack Durlacher Racing Team (1’34”5).
Le départ est donné et au troisième passage, Brack occupe la 16ᵉ place devant Vic Elford (Cooper), Lucien Bianchi (Cooper) et Henri Pescarolo (Matra). Bill Brack apprend à maîtriser la bête au fil des tours et progresse. Au 14ᵉ tour, il roule en 13ᵉ place devant Jean-Pierre Beltoise (Matra), Elford, Bianchi, Pescarolo et Jackie Stewart, dont la Matra a connu des ennuis.
Au 18ᵉ tour, la Lotus n’avance soudainement plus. Brack est forcé à l’abandon. « Cette année-là, la Lotus 49 présentait une faiblesse au niveau des arbres de transmission » explique Brack « Ils avaient tendance à se tordre. Il y avait d’abord des vibrations, puis l'arbre cassait. Durant les essais, ma voiture fonctionnait bien, mais celle de Graham présentait ces vibrations. Pendant la nuit, les mécaniciens ont interverti les arbres de transmission de ma voiture avec ceux de la Lotus de Graham ». Brack termine en avouant que d’avoir participé à cette course sans avoir roulé aux commandes d’une voiture de F1 au préalable fut une erreur.
Rétro 1968: Le pilote ontarien Bill Brack loue une Lotus de F1 et dispute le GP du Canada
Mardi 23 décembre 2025 par René FagnanCrédit photo: Wikimedia Commons/sv1ambo






