Totalement inconnus du grand public David Thieme et sa compagnie pétrolière Essex ont débarqués en Formule 1 au début des années ’80 avec d’énormes ambitions. Le but de Thieme ? Gagner dans les trois grandes disciplines du sport automobile : en Formule 1, en Endurance et aux 500 Milles d’Indianapolis. Ce personnage énigmatique nous a quitté aujourd’hui à l’âge de 83 ans après une longue maladie.

La courte histoire d'Essex en Formule 1 est celle d'un négociant en pétrole qui a empoché des millions de dollars en profits, qui a déversé énormément d'argent en commandite pour finalement terminer en prison pour avoir commis des “crimes financiers”.

Tout commence en 1942 à Minneapolis avec la naissance de David Thieme, fils d'un riche designer et artiste. David étudie en design industriel au Pratt Institute de Brooklyn, puis démarre sa propre entreprise de design qui réalise, entre autres, l'aménagement intérieur de jets privés, notamment de propriétaires de compagnies pétrolières.

Thieme en apprend beaucoup sur les dessous du commerce du pétrole et le monde plonge dans la crise pétrolière en 1973. L'OPEP a décrété un embargo sur le pétrole, visant les pays qui soutiennent Israël pendant la guerre du Kippour. En homme d'affaires avisé, Thieme se lance dans le commerce du pétrole en 1973 et fonde Essex Overseas Petroleum Corporation.

Son entreprise achète du pétrole à prix très bas lorsque la demande est faible et le revend à des prix beaucoup plus élevés lorsque la demande augmente, généralement en raison de l'instabilité politique. Ces transactions lui permettent d'encaisser des profits mirobolants. Certaines sources parlent de 70 millions de dollars par année. Thieme n'a presque pas d'employés ; il coordonne tout depuis son bureau situé dans l'Hôtel de Paris à Monaco. En 1977, il commence à travailler avec des fonds du Crédit Suisse, ce qui lui permet de réaliser des transactions plus importantes.

Thieme était un fan du pilote américain Parnelli Jones et au fil des rencontres, il se lie d'amitié avec François Mazet, ancien Volant Shell et membre du comité de l'Automobile Club de Monaco. En mai 1978, Thieme est invité à un dîner qui fête la commandite de Park Palace pour le Team Lotus à l'occasion du Grand Prix de Monaco. Assis à la même table, Thieme et Colin Chapman discutent et deviennent vite des amis. Les deux s'admirent : Chapman est émerveillé par le sens des affaires de Thieme et ce dernier est subjugué par l'esprit créatif de Chapman.

Thieme décide d'investir dans le Team Lotus et le logo argent métallisé/bleu/rouge d'Essex apparaît sur le flanc des Lotus de Mario Andretti et de Carlos Reutemann courant 1979. La présence de Thieme dans les paddocks était facile à remarquer. Chauve, mais arborant un bouc, portant fièrement un fedora en feutre noir et des lunettes de soleil carrées, Thieme était un personnage excentrique qui adorait faire état de sa richesse, possédait un égo surdimensionné et adorait côtoyer les grands et les puissants de ce monde.

Le Team Lotus est malmené en 1979 et connaît un échec retentissant avec sa fameuse Lotus 80 qui n'aura jamais bien fonctionné. Thieme contacte Porsche qui n'avait pourtant pas prévu de disputer les 24 Heures du Mans en 1979. En avril, Essex met le paquet (de dollars) et Porsche ressort les 936/78 châssis 001 et 003 pour disputer la course mythique. Les deux bolides abandonnent en course.

En 1980, Lotus produit une série de 100 voitures Turbo Esprit aux couleurs d'Essex et Thieme devient un commanditaire majeur du Team Lotus. C'est une autre saison désastreuse, car les Lotus 81 et 81B ne décrochent qu'un seul podium. Thieme commandite aussi cette année-là la Penske-Cosworth de Mario Andretti aux 500 Milles d'Indianapolis. Le moteur de Mario explose durant la course.

Rien ne décourage Thieme qui en remet une couche. Pour 1981, il fait d'Essex le commanditaire-titre du Team Lotus. Le lancement de la saison est célébré en grandes pompes avec un dîner extravaguant au Royal Albert Hall de Londres avec 900 invités, du champagne qui coule à flot et des vedettes internationales. La commandite d'Essex était, semble-t-il, de quatre millions de dollars, une somme énorme pour la F1 à cette époque.

Et ce n'est pas fini. Thieme décide d'en mettre plein la vue. Au lieu d'acheter un simple motorhome standard pour les réunions des membres du Team Lotus sur le circuits, il commande un gigantesque autobus à triple ponts qui comprend des douches, un bar, une salle de réunion, un pont supérieur panoramique, un auvent qui peut accueillir 130 invités et engage le chef étoilé Roger Vergé pour cuisiner les repas, oups, les banquets !

La saison 1981 est celle d'un autre échec majeur pour le Team Lotus, celui de la Lotus 88 à double châssis. Thieme fait aussi soudainement face à des ennuis financiers. Les marchés pétroliers connaissent un sérieux ralentissement à la suite de la révolution en Iran et du début de la guerre Iran-Irak. Selon Gérard Crombac, un proche du Team Lotus, Thieme avait continuer à honorer ses contrats alors que le prix du brut s'effondrait. Thieme pensait que le prix du pétrole allait vite remonter et comme il aurait alors été le seul à honorer sa signature, il serait devenu multimillionnaire. Malheureusement pour lui, le cours du brut est demeuré bas.

Le 4 avril 1981, Thieme est arrêté lors de l'atterrissage de son jet privé à l'aéroport de Kloten à Zurich en Suisse. Il est accusé par le Crédit Suisse d'avoir commis une fraude de 7,6 millions de dollars. De plus, le motorhome de Lotus, qui vaut 761 000$, est saisi en Suisse. Après deux semaines d'incarcération, il est libéré contre une caution de 150 000 dollars qui aurait été payée par le Saoudien Akram Ojjeh, le père de Mansour Ojjeh de l'entreprise TAG.

Les logos d'Essex sont immédiatement retirés des Lotus, mais par chance John Player Special vient à la rescousse financière de l'écurie. Thieme est finalement sorti de prison. On affirme qu'il a ensuite résidé à Paris, mais est demeuré extrêmement discret. Il est décédé le 12 août 2025 à la suite d’une longue maladie. En photo ci-dessus, on le voit à gauche, aux côtés d'Élio de Angelis, Colin Chapman et Mario Andretti.