Quels sont les plus grands concepteurs de l’histoire de la Formule 1 ? Le sujet est évidemment ouvert à débat. Nous en avons sélectionné 12 sur des critères liés à leur capacité d’innovation, leur succès, leur impressionnant parcours dans des époques bien différentes. Après Rudi Uhlenhaut, Charles Cooper et Colin Chapman dans le précédent texte, ce deuxième de 4 articles revient sur les parcours de trois nouvelles figures très célèbres : Mauro Forghieri, John Barnard et Gordon Murray…

Actif en F1 de 1962 à 1987, Mauro Forghieri

Jeune ingénieur de 26 ans fraîchement diplômé, Mauro Forghieri est nommé en 1962 à la tête du bureau de design de la maison Ferrari par Enzo lui-même, comme responsable pour la conception de tous les grands éléments des voitures de course. Il devient ainsi celui qui créée sur sa table à dessin les monoplaces Ferrari jusqu'en 1984. John Surtees, Jacky Ickx, Clay Regazzoni, Niki Lauda, Jody Scheckter, Carlos Reutemann, Gilles Villeneuve, Didier Pironi, Patrick Tambay et d’autres en furent les pilotes.

L’ingénieur italien jouissait de la confiance totale du patron. Mais les manigances politiques toujours en ébullition à Maranello finirent par avoir raison de la carrière de Forghieri à la tête de la gestion sportive de la Scuderia.

Mauro Forghieri a surtout produit des voitures gagnantes et savait comment obtenir la confiance et l’appui de tous les travailleurs et de l’entourage d’Enzo Ferrari. Il était également respecté de ses pilotes. C’est toutefois en Endurance que les premiers succès de Mauro Forghieri à la tête de Ferrari sont survenus, au début des années 1970. La première F1 entièrement conçue par Forghieri est celle de 1974, avec le début des monoplaces de la série 312. La 312 T, à boîte de vitesses transversale, a permis à Nika Lauda de remporter le titre mondial en 1975. Ferrari a remporté quatre titres des constructeurs, en 1975, 1976, 1977 et 1979, et trois titres des pilotes en 1975, en 1977 (avec Niki Lauda) et en 1979 (avec Jody Scheckter) durant les années 1970.

Gilles Villeneuve et Mauro Forghieri étaient aussi comme deux frères. Une célèbre anecdote impliquant l’ingénieur et le pilote québécois a survécu aux années : C'était en préparation de la saison 1978, en essais. Mauro Forghieri avait donné à Gilles quelques instructions avant qu'il ne s'élance en piste. Lors de son premier tour, Villeneuve a effectué trois tête-à-queue, à son deuxième, il en a fait deux autres. À son retour aux puits, l'ingénieur italien lui dit : « Gilles, ce n'est pas une Formule Atlantique, c'est une F1, et il faut ménager les freins ». Et Villeneuve de lui répondre : « Je ne comprends pas, je n'ai même pas encore commencé à freiner ! »

Les monoplaces signées par Mauro Forghieri ont aussi permis à Ferrari de remporter le titre des constructeurs en 1982 et en 1983, mais il avait commencé à perdre de son autorité au sein de la Scuderia. Il a fini par quitter son poste après la saison 1987, moins d’un an avant le décès d’Enzo Ferrari. Ce dernier avait poussé Forghieri vers la sortie avec le recrutement de John Barnard. Mauro Forghieri a ensuite travaillé pour Lamborghini et Bugatti avant de prendre sa retraite. Il est décédé en 2022.

1968 à 2008, John Barnard

John Barnard a passé sa carrière à trouver de meilleures façons de faire les choses, de créer et de faire les choses différemment des autres. Né dans la banlieue de Londres en 1946, il est passé de la fabrication d'ampoules électriques chez General Electric à sa sortie de l’université à la conception des McLaren MP4 championnes du monde dans les années 1980.

Chez McLaren, il a introduit en F1 le monocoque en fibre de carbone pour concevoir des châssis, la boîte semi-automatique (bien que celle-ci ait été testée dès le début des années 1980 par Ferrari en F1 puis Porsche en Endurance) et l'arrière en forme de "bouteille de Coke" dans diverses variations de la MP4, certaines des voitures de F1 les plus attrayantes, les plus innovantes et les plus dominantes des années 1980.

John Barnard est arrivé dans le milieu du sport automobile à la fin des années 1960, chez Lola. Il participe alors à la création de monoplaces de Formule Vee et des Can Am qui allaient récolter de nombreux succès avec l’équipe de Carl Haas (titres de Patrick Tambay et Jacky Ickx notamment). Un premier travail pour la F1 a lieu en 1968, Lola étant alors sous-traitant de quelques écuries dont McLaren, pour laquelle John Barnard s’en va travailler à temps plein en 1972. La F1 va alors devenir son univers professionnel exclusif jusqu’en 2008.

Assistant de Gordon Coppuck en 1972 et 1974 (titres mondiaux d’Emerson Fittipaldi) chez McLaren, Barnard fait ensuite un saut chez Parnelli mais, malgré des monoplaces techniquement réussies, l’argent manque et l’équipe américaine ferme ses portes. Il dessine ensuite la monoplace Chaparral 2K avec laquelle Johnny Rutherford remporte l’Indy 500 en 1980 avant de revenir chez McLaren, dont Ron Dennis vient de prendre les commandes.

Les titres mondiaux de Niki Lauda (1984) et d’Alain Prost (1985-86) auréolent John Barnard du titre d’ingénieur le plus en vue de la F1 à cette époque. Malgré que McLaren entende former le meilleur duo au monde pour la saison 1988 (Ayrton Senna et Alain Prost), John Barnard ne résiste pas au faramineux chèque proposé par Enzo Ferrari. Il devient le directeur technique de la Scuderia mais, insulte suprême pour les tifosis, il refuse de travailler en Italie et créée GTO (Guildford Technical Office), sa propre base technique Ferrari en Angleterre. Ce sera un échec, les tensions politiques finissant par pousser Barnard vers la sortie moins de deux ans plus tard.

John Barnard est alors recruté par Benetton mais l’entente avec Flavio Briatore est tout sauf cordiale. Le Britannique retourne chez Ferrari, enfin dans sa base de Guildford, la Scuderia de l’après Enzo ayant de nouveau accepté ce curieux principe. Nous sommes en 1993 et Jean Todt vient d’arriver à la tête de Ferrari.  Il remplace John Barnard par Ross Brawn à la fin de la saison.

John Barnard a ensuite œuvré pour Arrows et Prost Grand Prix avant de s’en aller en MotoGP, dans l’écurie de Kenny Roberts, puis prendre sa retraite des sports motorisés. Il dirige aujourd'hui sa propre société de conception automobile.

1969 à 1989, Gordon Murray

Gordon Murray a créé certaines des voitures de Grand Prix les plus radicales et les plus réussies de l'histoire. Né à Durban, en Afrique du Sud en juin 1946, il s'est fait connaître comme designer de l’écurie Brabham à partir de 1969. En 1973, l’écurie de Bernie Ecclestone lui offrir le poste de directeur technique, qu’il occupa jusqu’en 1986, passant ensuite chez McLaren pour trois saisons.

Il s’éloigna ensuite de la F1 pour accepter le rôle de directeur technique de McLaren Automotive, division de la marque McLaren spécialisée dans la conception de véhicules très haut de gamme. On lui doit notamment la McLaren F1 GTR, voiture qui remporta les 24 Heures du Mans en 1995.

En F1, Gordon Murray forma longtemps avec Nelson Piquet (en photo ci-dessus en 1979 - Lauda à gauche, Piquet au centre et Murray à droite) un duo exceptionnel en F1, au début des années 1980. Mais Murray fut aussi célèbre pour ses titres et victoires que pour ses créations, parfois jugées trop osées et rapidement déclarées illégales en F1. Le plus bel exemple de tout cela est sans nul doute la "fan car" (dotée d’un aspirateur qui soufflait ensuite l’air vers l’arrière… sur les autres voitures !) de 1978, une Brabham BT46 au design ingénieux qui a été retirée après avoir remporté, aux mains de Niki Lauda, sa seule course, le Grand Prix de Suède 1978 sur le circuit d’Anderstorp.

Deux titres gagnés avec Nelson Piquet ont marqué sa période Brabham avant qu'il ne rejoigne McLaren et dirige les concepteurs Steve Nichols et Neil Oatley dans les succès de l'équipe à la fin des années 1980.

Aujourd’hui âgé de 77 ans, Gordon Murray n’envisage toujours pas la retraite. En 2017, il a créé la Gordon Murray Automotive, une entreprise qui fabrique des voitures de ville et de sport légères. Le modèle T.50 a ainsi été bâti pour la marque TVR. Mais Murray a d’autres projets, dont la création d’une voiture de sport… extrême !