Comme il en est de tradition au Mans, le vendredi précédant le départ des 24 Heures est réservé aux activités promotionnelles, conférence de presse ou, pour les pilotes qui peuvent se le permettre, à la détente avant les deux plus longues journées de l’année ! Pilotant au sein d’une écurie privée, Cale Yarborough n’a guère d’obligations et il profite donc d’une journée de repos.

Le lendemain, c’est le départ de la course. La Camaro partira de la 39ème place sur la grille, 1ère des GTO. 55 voitures vont courir (4 ont été éliminées après les qualifications et 3 sont suppléantes). À 15 heures, devant une foule estimée à 200 000 personnes, l'air est riche en odeurs d'essence et de gaz d'échappement, le tout mêlé aux odeurs de vin rouge ou de bière, de crêpes au Grand Marnier et de merguez qui fument le long des allées du circuit ! Le niveau sonore augmente et les membres de l’équipe américaine engageant la Camaro No.35 du trio Cale Yarborough/Bill Cooper/Billy Hagan sont maintenant excités. Ce sont tous des pros mais il y a quelques instants, les haut-parleurs du circuit ont joué leur hymne national en l'honneur des 20 pilotes américains au départ de cette édition 1981 et aussi de cette vieille Camaro. Personne n'y a prêté attention, à l'exception de l'équipe US bien sûr !

La position de Cale sur la grille de départ n'est pas si mauvaise, surtout en tenant compte du fait que l'équipe a commencé à montrer son savoir-faire seulement lors de seconde nuit d'essais qualificatifs, le jeudi. Cela paraît incroyable aujourd’hui mais les équipiers de Cale n’étaient pas arrivés avant cela. Ils se nomment Bill Cooper, 34 ans, moniteur à l'école de pilotage de Bob Bondurant en Californie, Bobby Mitchell, 39 ans, physicien et pilote de voitures de sport à Huntsville en Alabama, et Billy Hagan lui-même, bottes de cow-boy et tout le reste. Et comme au Mans, un équipage ne peut être composé que de trois pilotes au maximum, Mitchell est là en tant que réserviste. Il ne pilotera jamais ni aux essais ni en course.

La grille de départ est maintenant en place

Les officiels de la course se frayent un chemin à travers la foule et demandent progressivement l’évacuation de la piste pour laisser les pilotes prendre place aux commandes de leurs bolides. Sur la Camaro No.35, deux membres de l'équipe s'assoient rapidement sur la piste, juste derrière la voiture, le dos appuyé contre les feux arrière. Deux autres membres de l'équipe se tiennent près d'eux, semblant s'appuyer sur l'aileron arrière. Ils arborent tous un sourire de maniaque. Le drapeau américain a été légèrement déplacé. Et Tex Powell, un chiffon sale entre les mains, est un peu trop détendu… « Nous avons un tout petit problème » dit-il en parlant à voix basse à travers ses dents serrées et sans se départir de son sourire. « Nous avons une petite fuite de carburant. D'après ce que je sais, il s'agit d'un petit trou dans le goulot de remplissage. Nous pensons que ça se résorbera tout seul dans quelques minutes, quand la voiture aura commencé à rouler. Nos hommes font semblant de s'appuyer sur la voiture pour la faire pencher et baisser le niveau du carburant du côté gauche. De plus, ceux qui sont assis sur la piste cachent la flaque d'essence. Et j'ai quelques chiffons jetés là pour l'absorber. Enfin, nous cachons tout cela derrière le drapeau ».

Powell regarde autour de lui, toujours en souriant et en faisant un signe de tête aux passants. « Vous savez comment c'est avec ces fonctionnaires français. Ils nous harcèlent depuis le début, une chose après l'autre. S'ils voient une petite chose comme ça, ils nous mettront hors course » dit-il. Tex réussit son coup. Les officiels en veste et cravate passent en échangeant des sourires radieux, et les chiffons imbibés d'essence sont bien cachés. Une équipe de gendarmes passe maintenant sur la grille de départ pour sortir les visiteurs et Cale monte dans la voiture par la fenêtre. Un par un, puis en masse, les pilotes lancent leur moteur. La flaque de carburant ne sera découverte qu’une fois la course lancée…

Cale démarre le moteur juste au bon moment. La Camaro déclenche un rugissement fracassant. Les images le confirment, l'histoire journalistique le relate : il y a un instant où toutes les têtes se tournent vers la voiture rouge, blanche et bleue. On voit d’abord un regard de stupeur collective, suivi d'un enchantement pur et simple. Qu'est-ce que c'est que ce magnifique tacot ? C'est, comme vous dites, "ze" stock-car ?

Le tour de formation se passe sans encombre, à 15 heures, ce samedi 13 juin 1981, la 49ème édition des 24 Heures du Mans débute sous le soleil…
 

Demain sur poleposition.ca : Partie 5 (conclusion) - L’accident puis le retour aux États-Unis…
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