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Au revoir Sir Frank Williams - La fabuleuse histoire de l’écurie de Formule 1 Williams

Au revoir Sir Frank Williams - La fabuleuse histoire de l’écurie de Formule 1 Williams

Vendredi 4 septembre 2020 par René Fagnan
Crédit photo: WRI2

Crédit photo: WRI2

C’est avec tristesse que nous avons appris hier que la famille Williams devait abandonner la direction de son écurie de Formule 1 au soir du Grand Prix d’Italie à Monza. En dépit des embûches, du manque de financement, des tragédies, des voitures mal nées et de la perte de plusieurs commanditaires majeurs, Sir Frank Williams n’a jamais capitulé et s’est toujours battu pour que son entreprise survive.

Son écurie, née en 1972, était encore jusqu’à ce week-end la dernière de l'époque des “garagistes” ; une écurie familiale dirigée par un seul individu aidé de sa fille, une équipe privée un peu perdue au milieu des grands constructeurs automobiles. En 1978, l’écurie employait 23 personnes. Aujourd’hui, elle en fait travailler plus de 500.

Son histoire débute à la fin des années 60, celles du yéyé. Bon pilote amateur, Frank Williams délaisse le volant et crée son écurie de Formule 2 qu’il fait ensuite monter en F1 en 1969 avec une Brabham privée confiée à Piers Courage. Il engage ensuite une De Tomaso au volant de laquelle Courage se tue aux Pays-Bas à l’âge de 28 ans. C’est un coup terrible pour Frank qui s’était vraiment lié d’amitié avec le pilote britannique, héritier de la brasserie Courage.

Au cours des années suivantes, Williams fera courir des March, une Politoy puis des Iso, dont le dernier modèle, la IR, sera transformée en FW, la toute première monoplace de F1 à porter le nom Williams. À cette époque, Frank Williams n’a pas d’argent pour payer ses fournisseurs et négocie des arrangements financiers à partir d’une cabine téléphonique située à côté de son atelier. Il court même des marathons dotés de grosses bourses afin de financer son écurie !

En 1975, Iso se retire et laisse Frank Williams, toujours sans argent, faire courir 10 pilotes payants au cours de la saison. Par chance, Jacques Laffite récolte une belle deuxième place en Allemagne au volant de la FW04-Ford. À la fin de la saison, le milliardaire canadien Walter Wolf achète l’écurie, mais la nouvelle FW05-Ford est une déception. Wolf remet l’équipe entre les mains de Frank qui n’a toujours pas un sou. En 1977, il renomme son écurie "Williams Grand Prix Engineering" et fait rouler une March pour le Belge Patrick Nève qui apporte un peu de financement.

Toutefois, Williams, tenace, engage un jeune ingénieur plein de promesses, Patrick Head. Ce dernier va dessiner une jolie petite voiture, la FW06, la véritable première F1 100% Williams. Frank, obstiné, parvient aussi à trouver de l’argent en Arabie Saoudite auprès d’entreprises comme Saudia Airlines, TAG et Albilad. Il repère aussi celui qui deviendra son pilote préféré : un Australien bourru nommé Alan Jones (photo ci-dessus).

C’est toutefois le Suisse Clay Regazzoni qui procure à Williams sa première victoire en F1 lors du Grand Prix de Grande-Bretagne de 1979. La voiture gagnante, la FW07-Ford, sera l’une des meilleures durant plusieurs années. Avec cinq victoires, Alan Jones est sacré Champion du monde en 1980. Deux ans plus tard, Keke Rosberg décroche un second titre pour Williams au terme d’une saison où il n’a remporté qu’une seule victoire et "profité" des tragédies survenues aux deux pilotes Ferrari, Gilles Villeneuve et Didier Pironi.

Les moteurs turbo font maintenant la loi en F1 et Williams signe un contrat avec Honda. Après des débuts difficiles, les Williams-Honda deviennent imbattables et permettent à Nelson Piquet d’être couronné en 1987. C’est à cette époque que Frank est victime d’un grave accident automobile, au retour d'une séance d'essais sur le circuit du Castellet, qui le cloue dans un fauteuil roulant, ce qui ne perturbera pas du tout son sens des affaires et n’altérera pas sa détermination.

La FIA impose ensuite un retour aux moteurs atmosphériques et Williams, abandonné par Honda, signe avec Renault. Entre 1989 et 1997, le fabuleux V10 français va propulser les monoplaces de Sir Frank à 63 victoires et à quatre titres mondiaux, ceux de Nigel Mansell, Alain Prost, Damon Hill et Jacques Villeneuve. Mais une autre tragédie secoue l'écurie Williams le 1er mai 1994, quand Ayrton Senna perd la vie au volant d'une FW16-Renault lors du Grand Prix de San Marino à Imola.

Par la suite, ce fut le début d'un lent déclin. Après deux saisons avec des moteurs Renault rebaptisés Mecachrome et Supertec, Williams unit sa destinée avec le constructeur automobile allemand BMW. En 2002, Ralf Schumacher récolte une victoire. Un an plus tard, Schumacher et Juan-Pablo Montoya amassent deux victoires chacun. En 2004, seul Montoya parvient à faire gagner une Williams-BMW. Les dirigeants de BMW sont frustrés par le manque flagrant de résultats et le style de gérance de Sir Frank. BMW quitte Williams et achète l’écurie Sauber afin de pouvoir tout contrôler.

Par la suite, ce sera la valse des moteurs chez Williams : Cosworth en 2006, Toyota de 2007 à 2009, retour au Cosworth en 2010 et 2011, retour au Renault en 2012 et 2013, et finalement Mercedes depuis 2014. Les pilotes aussi se succèdent, mais sans procurer de solides résultats à l’équipe britannique : Nico Rosberg, Mark Webber, Alex Würz, Kazuki Nakajima, Nico Hülkenberg, Rubens Barrichello, Pastor Maldonado, Bruno Senna, Valtteri Bottas, Felipe Massa, Lance Stroll, Sergeï Sirotkin, George Russell, Robert Kubica et Nicholas Latifi.

Depuis 2000, à cause de son manque de compétitivité, l’écurie Williams a aussi perdu de nombreux commanditaires majeurs comme Compaq, Allianz, FedEx, Hewlett Packard, Petrobras, Lenovo, RBS, Philips, Martini, Rexona et RoKit. Ça fait beaucoup...

Il est incroyable de se souvenir que la dernière victoire d’une Williams remonte à 2012, il y a huit ans de cela, avec la première place du Vénézuélien Pastor Maldonado au Grand Prix d’Espagne aux commandes d’une FW34 à moteur Renault. La dernière présence d’un pilote Williams sur un podium date de 2017 avec la troisième place de Lance Stroll à Bakou.

Au cours de trois dernières saisons, l’écurie de Frank et Claire Williams n’a compté que huit points au championnat des constructeurs et s’est classée 10e et dernier rang, elle qui figurait pourtant en troisième place en 2016 et 2017. À force de tenir une écurie de F1 à bout de bras, on se fatigue.

Le 21 août dernier, l’écurie britannique au complet a été vendue à un fond d’investissement américain, Dorilton Capital. Dimanche, au soir du Grand Prix d’Italie, tous les membres de l’écurie diront adieu à Sir Frank Williams, sa fille Claire, Patrick Head et quelques autres ténors de l’équipe.

Contacté par Pole-Position, Frank Dernie, celui qui a été le directeur technique de l’écurie entre 1978 et 1988, nous a déclaré : « C’est triste [cette vente], mais il était évident que ça ne fonctionnait plus. Un changement était devenu nécessaire. J’espère que l’avenir sera meilleur.»

Après 45 saisons, 50 modèles de voitures de F1, 114 victoires, 128 pole positions, 133 tours le plus rapide, 312 podiums et 33 doublés, le dernier "garagiste" de la F1 quitte la scène. Merci Frank pour toutes ces années de gloire et de succès. La F1 manque terriblement de personnages obstinés et déterminés comme vous.


Photo ci-dessous: Grand Prix d'Afrique du Sud en 1972 à Kyalami. Henri Pescarolo, Frank Williams et Carlos Pace se tiennent près des deux March 721-Ford, dont une d'elles sera transformée en Politoy plus tard durant la saison.

Crédit photo: WRI2