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Rétro 1988 : La catastrophique Ligier JS31 à quatre réservoirs d’essence

Rétro 1988 : La catastrophique Ligier JS31 à quatre réservoirs d’essence

Lundi 25 avril 2022 par René Fagnan
Crédit photo: Facebook Amis René Arnoux

Crédit photo: Facebook Amis René Arnoux

La saison 1988 de Formule 1 propose une grande nouveauté, car elle permet un affrontement entre les voitures à moteurs turbo et celles à moteurs atmosphériques.

Dans le but d’équilibrer les forces, les voitures turbo sont pénalisées par une soupape de décharge ne pouvant dépasser la pression de 2,5 bar et un réservoir d’essence limité à 150 litres. Les voitures atmosphériques sont plus légères de 40 kilos et peuvent transporter autant de carburant qu’elles le désirent.

L’écurie française de F1 Ligier, située à Abrest dans l’Allier, abandonne son moteur turbo Megatron (né BMW) et passe dans le clan des atmosphériques en adoptant le Judd CV V8 d’une cylindrée de 3,5 litres. La Ligier JS31 est dessinée par Michel Tétu et Michel Beaujon. Au lieu de créer une voiture simple et légère, ils ont enfanté d’une monoplace très basse et plate, mais lourde, compliquée et assez peu fiable.

Le règlement technique de 1988 oblige de placer le pilote un peu plus en arrière dans la coque afin de protéger ses jambes en cas de choc frontal. Tétu et Beaujon décident de scinder les 200 litres de carburant nécessaire pour disputer une course dans quatre réservoirs différents au lieu d’un seul situé derrière le siège du pilote. L’autre objectif recherché est d’abaisser le centre de gravité et d’améliorer la répartition des masses.

Ainsi, le réservoir d’essence placé en position standard derrière le pilote est de petite taille. Deux réservoirs de 60 litres chacun (total de 120 litres) sont placés de part et d’autre de la monocoque. Un quatrième réservoir, d’une capacité de 70 litres, est logé entre le moteur et la boîte de vitesses. Il joue le rôle de châssis secondaire, car muni des points d’ancrage reliant le moteur et la transmission.

Le principe de ces quatre réservoirs est similaire à celui des avions commerciaux où le pilote peut transvider du carburant d’un réservoir à un autre afin d’équilibrer l’avion en vol.

Dès les premiers essais, les pilotes, René Arnoux et Stefan Johansson, savent que la saison 1988 sera longue et que les courses seront ardues… L’équipe technique découvre rapidement que la JS31 ne réagit pas aux changements de réglages.

Johansson a alors affirmé que la voiture souffrait d’un gros manque d’appui aérodynamique et qu’elle se comportait comme si la piste était mouillée. Parlant récemment au magazine Road&Track, le Suédois a déclaré : « La seule chose qui maintenait cette voiture au sol était la gravité... »

Une première direction assistée en F1

Québécois d’adoption, Éric Lauger était mécanicien chez Ligier à cette époque et il a travaillé sur cette JS31. « Ce n’était pas trop, trop compliqué de travailler sur cette voiture. Par contre, pour la transmission, c’était une autre histoire. Accoupler la transmission avec l’arbre moteur était du boulot, car c’était une longue tige et elle passait à travers le réservoir d’essence arrière. Robert Dassault, qui s’occupait des boîtes de vitesses, a connu une année assez difficile » nous raconte Lauger.

La JS31 a été la première voiture de F1 à disposer d’une direction assistée. « Au début de la saison, la voiture possédait une direction assistée, mais elle fut retirée après quelques courses pour sauver un peu de poids, car la voiture pesait 575 kilos [soit 75 kilos au-dessus du poids minimum]. La direction assistée masquait les réactions de la voiture. Les pilotes ne ressentaient pas bien ce qui se passait. Ils braquaient le volant et parfois ça sous-virait et d’autres fois ça survirait. Elle était imprévisible » explique Lauger.

Si sur papier cette solution technique à quatre réservoirs pour équilibrer la voiture en course était intéressante, ce fut totalement différent dans la réalité. « C’est le pilote qui ajustait le transfert d’essence d’un réservoir à l’autre au feeling. Ils ont dû apprendre à le faire. Ce n’était pas naturel. Ils devaient tenir le volant changer de vitesses avec un levier, ajuster les barres antiroulis, le répartiteur de freinage et le transfert d’essence alors qu’ils étaient en pleine bagarre en piste… » ajoute Lauger.

Les JS31 ont été abonnées aux dernières lignes de départ. Une saison de misère. Le moment le plus dur à vivre fut celui de la non-qualification des deux Ligier à l’occasion du Grand Prix de France au Castellet début juillet. Cette fois-là, les Ligier ont été battues par les EuroBrun, Minardi, Zakspeed, Lola Larrousse, Osella et AGS.

« L’ambiance dans les garages et dans notre unité VIP était très morose » nous dit Lauger. « Si je me rappelle bien, Guy Ligier n’était pas sur place. S’il avait été là, il aurait tout démoli ! Stéphane Collaro [comédien français très connu] était avec nous et il tentait de remonter le moral à Néné [René Arnoux], car c’était son anniversaire de naissance le lendemain. La télévision locale de FR3 est venue nous interviewer et nous avions tous la mine très basse… »

Lauger soutient que les pilotes n’étaient pas en cause. « Les pilotes ont fait ce qu’ils ont pu. Ils se sont vraiment crachés dans les mains pour faire avancer cette voiture. Ils ont attaqué comme des bêtes. Arnoux disait que c’était la pire voiture qu’il avait conduite, et pourtant la Martini de 1978 n’était pas bien bonne ! »

Les JS31 ont subi huit non-qualifications, soit six pour Johansson et deux pour Arnoux. En 14 Grands Prix (soit 24 participations), la meilleure qualification fut une 17e place (Arnoux en Belgique et en Allemagne), et le meilleur résultat a été une neuvième place (Johansson au Brésil et en Australie). Les JS 31 ont abandonné 13 fois à cause de bris mécaniques.

La dernière course de la saison, en Australie, aurait pu donner un peu de satisfaction à l’écurie française, mais non. « Nous aurions pu marquer des points à cette occasion » raconte Johansson à Road&Track. « Je roulais en septième place avec seulement six tours à parcourir quand je suis tombé en panne d’essence… »

Une panne vraiment désastreuse quand on sait que la voiture possédait quatre réservoirs d’essence !